Xavier Dolan sort donc deux films en 2019, et ce sont deux films entièrement différents. Là où Ma vie avec John F. Donovan se voulait comme une fresque sur la vie d'un acteur et ses relations, Matthias & Maxime se veut comme une simple histoire d'amitié. J'aime les voir comme deux faces d'une même pièce, ce film étant clairement une forme de réaction face au processus de création -surement laborieux- que fut John F. Donovan. Mais alors ce long-métrage, qu'en ai-je retenu ?
Lorsque le film s'est terminé, je ne savais pas quoi en dire. Un jour après, mes idées sont plus claires mais mon avis reste un peu flou. Ce qui m'a choqué en premier lieu est que Matthias & Maxime est un film verbeux : on y parle, on y débat avec fureur et parfois avec de l'amour, on se prend les pieds dans un trop-plein de bavardages en québécois. Et personnellement, je m'y suis pris. Les dialogues et les langages sont très bien maniés, on s'approche d'un réel palpable et on ressent la gêne ou la colère ambiante. La réalisation de Dolan sur ces scènes, depuis Ma vie avec John F. Donovan bizarrement, semble s'inspirer des sit-coms américaines : zooms, caméra à l'épaule, coupures effrénées, rythme de comédie... Ce qui ne m'avait pas posé de problème dans son dernier film, puisque les scènes de débat y sont rares, alors qu'ici c'est tout le cœur du film. C'est un gimmick intéressant mais qui est parfois de trop : cela en devient même brouillon et inutile.
La réalisation de Dolan est aussi très particulière. C'est comme une forme de réaction allergique à ses propres outils et gimmicks qu'il utilise depuis 10 ans. Vous aimez ses clip-show ? Vous aimez ses scènes de danse et de soirée ? Vous aimez ses plans tableaux et mythiques ? Grand bien vous fasse, il n'y en aura pas (ou très peu). Tout ce que les détracteurs de son dernier film ont pointé, c'est à dire le fait qu'il "ne se renouvelle jamais et ressorte toujours le même style", est ici absent. Personnellement, c'est un proposition que je trouve intéressante. Toutefois, c'est qui fait son jargon, son langage cinématographique, et j'ai donc eu un sentiment de surprise qui m'a laissé dubitatif à la fin du film. Contrairement à toutes ces autres œuvres, il n'y ici aucun plan mémorable. A part à la limite un seul, qui ressemble à une forme d'adieu à son style, un travelling latéral simple au ralenti, avec un étendage à linge et une vitre remplie de buée. Comme si Dolan disait adieu à ses attaches de réalisation pour aller plus loin, tout comme le seul travelling avant du film -assez perturbant- sur un visage. Dolan fait une économie du grandiose cinématographique : un unique symbole fort du film, peu de machinerie et de ralenti, pour favoriser l'expression du réel.
C'est dans ce réel que s'inscrit son histoire, et j'y ai vu une thématique assez précise : l'absence. Que ce soit l'absence de famille pour Maxime -autant celle idéalisée hétéro-normée au début du film que celle avec sa mère et son frère-, l'absence d'une relation entre les deux personnages, ou même l'absence du passé. En effet, sur ce dernier point, là où Dolan aimait montrer le passé par des flashbacks comme dans Juste la fin du monde, le passé est ici refoulé de ce monde qui n'appartient qu'à l'instant présent. On le ressent jusqu'à la fin, où aucune révélation -même minime- n'est faite
sur la nature de la relation ambiguë entre Matthias & Maxime, sur la raison scénaristique de l'emphase sur la tache de vin de Maxime, ou sur le passé qui les lie.
Cela m'a bien dérangé, puisque je trouve que le spectateur n'est que passif face au récit. Je me suis senti en dehors des enjeux, des motivations des personnages. Je ne me suis rattaché à aucun élément du film, j'étais perdu face à cette histoire d'amis qui, paradoxalement, ne m'invitaient pas à participer à leur party.
C'est là pour moi tout le problème que j'ai avec le film : l'absence d'émotions procurées alors que s'en est le cadre parfait. Le film ne m'a pas touché, ne m'a pas énervé, m'a fait un peu rire, et reste assez apathique. Le seul moment où j'ai eu des frissons est lors de cette magnifique scène de rage pure, d'émotions refoulées, de haine face à un passé préjudiciable dans le cadre social :
lorsque Matthias se jette à l'eau et nage avec une force incroyable sur une musique intense.
C'est un vrai moment de cinéma enfoui dans un trop-plein. Et c'est un sentiment assez rare.
Alors oui, on peut y voir une belle vision de la toute-puissance des normes dans notre société, mais il faut y creuser pour le découvrir. Rien n'est explicite, ce qui est une bonne chose, certes, mais à être trop "subtil" sur sa thématique, le film m'a laissé indifférent sur le plan émotionnel. Même si le casting est sublime et que c'est plaisant de voir Xavier Dolan retourner au Québec, Matthias & Maxime ressemble plus à un premier film qu'à un film d'un réalisateur déjà bien présent dans le cinéma mondial.
Mais en même temps, est-ce une mauvaise chose ? Avec l'émulsion folle que fut Mommy, ses trois derniers films semblent ouvrir les champs des possibles d'un réalisateur qui reste encore jeune. Juste la fin du monde comme l'oeuvre minimaliste mais d'une force boulversante, Ma vie avec John F. Donovan comme l'oeuvre d'un geste artistique tenté, qui rate parfois, mais qui reste solide grâce à des bases connues, et Matthias & Maxime comme l'oeuvre née d'une rage, d'une envie folle, qui déroute mais qui expérimente et qui apparaît autant comme un retour aux sources que comme un renouveau sans repères, sans inspirations visibles. Et je pense sincèrement que le prochain film de Xavier Dolan sera l'apothéose de toutes ces expérimentations.