Voilà longtemps que je ne m'étais pas senti aussi enthousiaste par un film de Xavier Dolan. Je retrouve enfin le réalisateur qui m'a conquis, celui de J'ai tué ma mère et des Amours imaginaires. Quel plaisir déjà de le retrouver devant la caméra, en plus d'être derrière. Xavier Dolan reste le meilleur interprète de ses films : un acteur habité pour un réalisateur exigeant.
A ses cotés, le casting est parfait. L'élégant Gabriel D'Almeida Freitas, en pleine crise existentielle, et toute la gang, tous crédibles pour nous faire croire à une complicité qui puise ses sources dans les racines de l'enfance. Les plus âgées ne sont pas mal non plus, mères fantasques, intrusives ou destructrices (magnifique Anne Dorval). On leur doit les plus belles scènes d'humour (leur bavardage incessant tandis que le fils s'escrime au piano) et les plus terribles (Maxime qui s'oppose à sa mère, dans une version beaucoup plus violente que dans J'ai tué ma mère).
Le sujet est plus complexe qu'il n'y parait : deux amis d'enfance, inséparables, voient leur monde basculer suite à un double élément déclencheur. Ce baiser (que l'on ne verra pas) pour un film d'étude mais peut-être plus encore la décision de Max de partir en Australie pour 2 ans. Nous ne sommes pas dans "juste la fin du monde" mais dans la fin d'un monde, celui de l'enfance puis de l'adolescence, des vacances et des soirées avec l'éternelle bande de potes.
Parce que le baiser échangé met à jour une attirance enfouie, Matthias réalise que le monde qui était le sien n'existe déjà plus. Suivant les pas de son père dans un grand cabinet d'avocat, en costume cravate impeccable, qu'a-t-il encore en commun avec cette gang plus populaire, qui s'exprime moins bien et reste dans les soirées de déconne de jadis ? Que restera-t-il de son ancienne vie après le départ de Max, son complice, pour qui il réalise soudainement qu'il éprouve peut-être autre chose qu'une forte amitié ?
Le film s'attarde longuement sur le trouble de Matthias qui ne semble plus se sentir à sa place ni dans le cabinet de son père, ni parmi sa bande de potes, ni dans les bras de sa copine ni auprès de max qu'il évite autant qu'il le peut. Dans ce jeune avocat de Toronto si sûr de lui qu'il doit chaperonner dans la ville, Matthias semble voir son propre reflet : afficher pour la galerie une situation professionnelle prometteuse et une stabilité sentimentale, avec des envies de voir ailleurs.
Couper les liens avec son enfance n'est pas chose aisée. Max en fait aussi l'expérience : coupable d'abandonner sa mère dont il est le soutien et qui le lui rend bien mal et hésitant à quitter Matthias avec qui une relation nouvelle pourrait être possible.
Matthias et Maxime exprime beaucoup de non dits : la difficulté d'avouer à l'autre qu'on l'aime et qu'on lui en veut de partir. Un très joli film, sensible, à l'image de son acteur réalisateur, où l'on retrouve son souci du détail, du cadrage (j'ai apprécié le double cadre : celui de la caméra filmant les acteurs dans l'embrasure d'une fenêtre) et de la mise en scène, de la défense de la langue québécoise aussi, qui n'est ni le français ni l'anglais. Tout ceci sans jamais sacrifier aux sentiments et aux émotions. De la bonne job !