« Il fait toujours la même chose », « ça tourne en rond »… Voilà ce qu'on a pu entendre au Festival de Cannes et avant la sortie de Matthias et Maxime.
Non, le dernier film de Xavier Dolan n’est pas une pâle copie de ses précédents films. Surtout que l’œuvre de Dolan est assez hétéroclite. Qu’est-ce que Tom à la ferme a à voir avec Les Amours Imaginaires ? Mommy avec Juste la fin du monde ? J’ai tué ma mère avec Laurence Anyways ?
S’il s’agit de réduire l’empreinte d’un film au style et aux acteurs d’un cinéaste, alors la critique est vaine et Wes Anderson se ferait lyncher à chaque fois qu’il sortirait un film. Pourquoi Matthias et Maxime serait une énième réplique des films précédents ? Parce qu’on y retrouve Anne Dorval dans le rôle de la mère ? Ou parce qu’il y a des ralentis avec de la musique pop ? Peut-être parce qu’on y parle québécois tant qu’à faire ?
Au contraire, le présent film pourrait être considéré comme la clé de voûte d’une nouvelle phase dans le cinéma de Xavier Dolan. Matthias et Maxime est, et raconte, un changement crucial.
Matthias et Maxime, trentenaires, sont les meilleurs amis du monde depuis l’enfance, presque des frères. Ils rejoignent leur joyeuse bande de copains l’espace de quelques jours dans la maison de l’un d’entre eux. La sœur de l’hôte, cliché sur pattes du pédantisme au langage américanisé, engage les deux compères à tourner dans son premier court-métrage expérimental (sorte de John Mekas sans vécu). A la suite d’un pari perdu avec ses potes, Matthias est finalement contraint de jouer dedans. Surprise : il devra embrasser Maxime devant la caméra. Cette même caméra dissimulera le baiser volé, caché au spectateur. S’ensuit un profond malaise entre les deux hommes, les éloignant progressivement l’un de l’autre. La distance s’accentue, d’autant plus qu’ils sont à un tournant de leur vie. Matthias monte en grade dans sa vie professionnelle, Maxime va partir pour l’Australie afin de s’éloigner d’une situation familiale étouffante. Le récit se concentre sur les semaines et les jours restants avant le grand départ.
L’histoire s’articule autour d’un bouleversement : le baiser. La tension du film est fondée sur l’issue de la relation Matthias-Maxime ; le renouvellement ou la rupture.
Ce tremblement de terre central n’est pourtant pas inaugural. Le retardement de l’élément perturbateur est primordial pour que Dolan donne assez de profondeur à ses personnages, bref une histoire. La densité est induite par des détails, des plans, des paroles comme la tâche de naissance de Maxime semblable à une balafre qui parcourt sa joue droite. La première fois que l’on y fait attention survient lors de la deuxième scène du film. En quittant la salle de sport, Matthias et Maxime sont dans un embouteillage. Maxime s’attarde alors sur un panneau publicitaire représentant une famille souriante typique de l’American Way of Life. La vision de cet idéal factice entre en collision avec le chaos de sa vie familiale qui atteint son paroxysme lorsque sa mère le frappe à la tête plus loin dans le film (du sang coulera sur sa tâche).
C’est par cette distillation d’éléments que Dolan nous donne des portes d’entrée et des attaches dans l’univers préétabli de ce film. Par ce biais-là, la bande de potes constitue un environnement vraisemblable et sympathique ; dans un premier temps autour de leur euphorie et des conneries qu’ils se balancent, dans un deuxième à travers les fractures dues au comportement malheureux de Matthias.
Inutile d’en dire davantage. Matthias et Maxime, comme le reste de la filmographie de Dolan, est un film sensoriel. Toute la générosité sentimentale et esthétique du cinéaste est bien là, retrouvant toute sa force après le décevant Ma vie avec John F. Donovan.
Néanmoins, on peut souligner une certaine sobriété dans la mise en scène, loin des extravagances des Amours imaginaires et de Laurence Anyways. Cette épuration esthétique est déclarée avec beaucoup d’autodérision au début du film en prenant le contrepied du personnage de la réalisatrice en herbe. Elle est en quelque sorte le double stéréotypé de Dolan : les couleurs des pulls des deux hommes, le plan fixe face caméra, le québécois anglicisé… Bref, le souffle et la beauté sont toujours là, mais de manière moins lissée, plus brute.
Pour finir, la difficulté à laquelle les deux protagonistes sont confrontés est la suivante : s’engouffrer dans une zone insoupçonnée de leur relation. Faisons de même dans notre attitude vis-à-vis de ce très beau film novateur dans la carrière de Xavier Dolan.