Voici donc le Gros Œuvre d'un démiurge, mais d'un piètre démiurge : ambitieux mais raboteux, superficiel et grotesque, pas même honorablement besogneux. Après les retours extrêmement mitigés de la 77ème édition Cannoise le concernant Mégalopolis sort donc dans nos salles obscures en ce début d'automne 2024. En résulte un long métrage prenant la forme d'un étrange fatras de plans péniblement montés les uns contre les autres, narrant peu ou prou une insipide dystopie SF resucée jusqu'à la moelle au cœur de laquelle Francis Ford Coppola s'adonne à un interminable enchaînement de procédés formels aussi gratuits que foncièrement vains : time-lapse hérités des expérimentations du célèbre chef opérateur Ron Fricke, surimpressions tapageuses, dutch angles évoquant la majesté du Cinéma de Orson Welles, triple écran dénué de substance filmique...
Fruit gâté d'une immense machine qui tourne à vide ( et dans le vide ) Mégalopolis témoigne de son inefficacité dès ses premières minutes hautement démonstratives : on comprendra vaguement un semblant de narration contant le projet utopique de César Catalina, improbable architecte du temps désireux de construire une gigantesque cité outrepassant les lois du fatum. Hélas Coppola se vautre rapidement dans les méandres d'une écriture proprement illisible et amphigourique, tentant néanmoins de rendre gloire à l'expressionnisme allemand des années 1920 (Fritz Lang forcément, mais également les fantômes de Caligari et ses perspectives savamment déformées...).
On sait - depuis L'homme sans âge - que le cinéaste met un point d'honneur à construire une fin de carrière régie sous le signe du désintéressement commercial et de la recherche créatrice pure et dure ; alors certes : Mégalopolis tente plein de choses et témoigne d'une respectable singularité, hélas phagocytée par une réalisation proche de l'indigestion. Ainsi ladite dystopie s'avère rapidement incompréhensible en dépit de sa prétendue universalité, brassant tous les grands thèmes méta-physiques avec un soin expéditif réellement dommageable.
Monté à la truelle, platement interprété par son équipe de comédiens et de comédiennes ( de ce point de vue Adam Driver ne nous a jamais semblé aussi peu convaincant, épaulé d'un Larry Fishburne ou encore d'un Dustin Hoffman exécutant faiblement le minimum syndical...) Mégalopolis se voulait donc l’œuvre somme d'un réalisateur qui n'avait en fin de compte plus grand-chose à prouver, fort de ses anciens - mais superbes - faits d'armes du Nouvel Hollywood : demeure à la place un salmigondis duquel on ressort complètement médusé, avec le fâcheux sentiment d'avoir fait face à un interminable et vulgaire tas d'images esthétiquement hideuses. Un naufrage filmique, rien de moins.