Megalopolis s'est pris une volée de bois vert, dès Cannes, longtemps avant sa sortie en salles. Aux Etats-Unis surtout, où il y a eu peu de voix pour s'élever pour défendre un film qui tranche violemment avec les standards du cinéma hollywoodien, ou du cinéma "commercial" à peu près n'importe où sur la planète globalisée que nous habitons désormais. Ne sacrifions pas aux sirènes du complotisme en y voyant une cabale contre un réalisateur important devenu dissident, mais reconnaissons que, quand nous avons enfin pu le voir sur nos écrans, Megalopolis, pour ne pas être une réussite, est bien loin du "navet" que certains ont annoncé avec une délectation suspecte. Finalement, on n'est pas loin du phénomène de rejet injuste qu'avait connu Cimino à l'époque des Portes du Paradis,... sauf qu'il y a une différence de taille : Coppola a utilisé son propre argent pour pondre le film de ses rêves, et n'entraînera personne dans sa chute probable. Et c'est une énorme différence.
Car, finalement, qu'y a-t-il de plus respectable qu'un artiste vieillissant qui met sa fortune personnelle - conséquente - pour passer un message qu'il juge important, capital même ? Nous devrions tous être en train d'applaudir des deux mains, au lieu de critiquer le film sur des critères qui, finalement, sont assez mesquins, si l'on regarde Megalopolis à l'aune de la vision qu'il propose.
Bien sûr, le film est trop court, pour raconter une histoire aussi complexe... puisqu'il est ce qui subsiste de nombreuses heures de filmage, dont il fut apparemment difficile de tirer quelque chose de cohérent (la méthode Coppola, ne l'oublions pas, déjà à l'époque du chef d'œuvre que fut Apocalypse Now). Plus de temps, d'argent aurait sans doute permis d'éviter les ellipses incompréhensibles, les fils narratifs ne débouchant sur rien, les incohérences psychologiques : peut-être verront nous un jour une version redux de 4 heures qui rende hommage à l'histoire que nous conte Coppola ?
Cette histoire, idéaliste au point de sonner dépassée, est le rêve des années 60/70, celui des urbanistes qui ont cru pouvoir changer la vie, changer l'homme et peut-être la planète en inventant une ville différente, qui redessinerait le futur de l'humanité. Coppola n'a visiblement pas été actualisé vis à vis de tout ce qui s'est passé depuis les années 70-80, et sa vision de la politique, de la vie urbaine, de la technologie, reste indéfectiblement ancrée dans les dernières décennies du XXème siècle. Est-ce que cela rend pour autant son film "obsolète" ?
Non, bien sûr, car Megalopolis, en dépit de ça, reste du VRAI CINEMA, qu'on prend un plaisir réel à voir briller de tous ses feux sur nos grands écrans (pas un film à regarder sur une tablette, ou pire, un smartphone !). L'histoire, pas si éloignée de celle du Parrain, rencontre de plein fouet l'esthétique kitsch mais chaleureuse de One From The Heart (un film généralement détesté en dépit de ses qualités), et le tout est porté par une distribution exceptionnelle, qui offre le meilleur (Adam Driver, comme toujours impressionnant) comme le pire (Dustin Hoffman, l'ombre de lui-même, ou plutôt sa propre caricature). Mais ce sont, curieusement, les actrices qui rayonnent le plus et prouvent que Coppola, pour ne pas être devenu "woke", a féminisé avec les années son cinéma : Natalie Emmanuel et Aubrey Plaza constituent à elles deux une excellente raison d'aller voir Megalopolis.
En résumé, et avant de se lancer dans une réflexion plus profonde sur ce film, qui mérite un second visionnage pour sortir de l'effet "WOW!" de sa découverte, n'écoutez pas les critiques manquant d'imagination et de courage, et allez voir Megalopolis tant qu'il est visible en salle.
[Critique écrite en 2024]