Ils s’appellent Vu, Thang ou Van, ils sont jeunes, ils sont beaux et vivent sur les rives du Mékong, à Hô-Chi-Minh-Ville, oisifs et sereins, sans même connaître la promesse d’un futur, envisager quoi de leurs possibles, concevoir l’avenir à venir dans une société qui se transforme, qui s’ouvre, se durcit et propose aux hommes, contre de l’argent, de se stériliser pour lutter contre la surpopulation… Envisager donc, mais l’envisager sans bonheur, sans enfant, sans horizon, transpirant à l’aube d’un nouveau millénaire, l’inconnu ? Vu est apprenti photographe, Thang vit de petits trafics et Van rêve de devenir danseuse, une étoile. Tous les trois se cherchent, se touchent, aiment et s’aiment, aspirent à quelque chose, charrié sans doute par les eaux grises du Mékong.
La nature, autour d’eux, bruisse et résonne sans cesse, elle répond, elle répand, et même le long des rives, dans les faubourgs, aux terrasses, accompagnée des feulements sonores de Chapelier fou (alias Louis Warynski). Dans la deuxième partie du film, la plus belle, elle s’impose finalement avec puissance et majesté, et Phan Dang Di y dépose là ses personnages, en son creux, venus échapper aux tumultes de la ville, abandonnant les motifs de la chronique sociale pour dériver vers une sorte de fantasmagorie sensuelle que n’aurait pas renié Apichatpong Weerasethakul. Le temps semble s’arrêter alors. On s’évente, on sue, on mouille, on boit, on attend que ça passe, bercé par un retour à la terre, littéral.
Les heures s’égrènent au gré de la chaleur, des baignades et des repas à préparer, et plus loin dans la mangrove, on s’enlace en secret dans la boue, la nuit. Parenthèse onirique redéfinissant les flux du désir et des frustrations de chacun (du fils, du père, de l’épouse, de l’ami…), avant le retour en ville pour une dernière partie moins prégnante. C’est là que Phan Dang Di perd de sa superbe. Son récit pluriel, tout en ellipses et en ruptures, en mouvements bizarres, se plaît davantage, et plus que nécessaire, à raccourcir, à rompre et à mouvoir, déréglant inutilement le récit de cette jeunesse vietnamienne en mal de repères et de certitudes. Dans un même temps, c’est cette liberté de ton et d’éloquences, ce transport entre naturalisme et langueur, qui séduisent à la longue, le long du Mékong.
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