Lorsque le temps est suspendu, l'instant se révèle et la vie apparaît !

Premier film de Kechiche que je regarde, du moins en entier car j'avais mis en pause La vie d'Adèle pour durée indéterminée. Il faut dire que dès le début, je me suis laissé embarquer dans cette magnifique aventure. Désirant devenir scénariste et adorant depuis toujours les chroniques adolescentes, ce sixième long-métrage du réalisateur était fait pour moi ! Mon Moi intérieur m'oblige à écrire cette critique, ne pouvant laisser qu'une seule et simple note pour décrire ce film. C'est parti !


Tout d'abord, discutons du scénario et des intentions de Abdellatif Kechiche. Il a un projet, un vrai. En effet, le monsieur souhaite suivre la vie du héros, Amin, tout au long de sa vie jusqu'à ses 45 ans. C'est donc le premier opus d'un long périple initiatique visant à montrer ce que c'est que vivre. Car c'est exactement ça au fond que montre le réalisateur dans Mektoub My Love, des jeunes qui s'aiment, se déchirent et profitent de leurs vacances. Ce qui est très fort et qui m'a tout de suite frappé, c'est les dialogues et situations. On ne peut pas plus faire plus réaliste. Tout est dedans, les moments de gênes retranscrits par des gestes révélateurs, des secondes de silence qui laissent place aux échanges de regards et même les hésitations ou bégaiements. Les scénaristes ont vraiment réussi à trouver le bon ton et les bonnes façons de représenter les personnages. L'improvisation a-t-elle eu sa place sur la tournage? Je m'interroge sur le processus qui a permis d'atteindre un tel niveau de véracité.


Cette sensation de vrai permet donc de se reconnaitre dans chaque situation et de s'attacher beaucoup plus vite aux personnages. Parlons d'eux justement et surtout du héros de l'histoire, Amin. Voilà quelqu'un que j'ai hâte de suivre toute sa vie, comme le souhaite Kechiche. Dès les premières minutes, on arrive à le cerner. Sans la parole, le spectateur parvient à le connaître et rajoute au fur et à mesure des adjectifs le définissant. C'est un artiste, écrivant des scénarios et pratiquant la photographie mais c'est aussi un jeune homme perdu, qui abandonne les études de médecine. Passer ses vacances d'été à Sètes est pour lui un retour au source, une manière de profiter de la vie et de se retrouver. Le spectateur a vraiment l'impression d'être dans une bulle et d'accompagner Amin dans chacun de ses pas grâce à l'utilisation d'une caméra à l'épaule omniprésente qui colle le héros. Pendant tout le film, il dit prendre des photos mais il est surtout spectateur de son propre monde. On est complice de son regard, de ses déceptions, de ses rires. La scène de la boîte de nuit le montre bien, la caméra retranscrivant son point de vue sur les évènements. Amin semble également asexué, il plait aux filles mais ne concrétise jamais, demeurant le seul homme du film qui porte une importance à l'Amour, au vrai, sans penser au sexe mais qui ne refuse pas le désir. Confident d'Ophélia puis de Charlotte, il est la corde qui relie tous les personnages, qui voit tout mais qui n'agit pas. Sa timidité le démarque de se homologues masculins, c'est l'artiste incompris qui cherche constamment l'inspiration et qui observe, comme s'il cherchait à alimenter le scénario de sa propre vie.


Il est maintenant temps de parler de la mise en scène de Kechiche ! Fidèle à lui-même, il n'y a pas un seul plan au trépied. Nous sommes constamment embarqués avec les personnages grâce à la caméra à l'épaule. Au plus proche de leurs visages, les sentiments émergent et les regards sont révélateurs. La sensation de mouvement est omniprésente et ajoute une vraie dynamique au long-métrage, ce qui permet de ne pas s'ennuyer durant les 2h55 minutes qui composent le film. Je constate que ce réalisateur aime beaucoup étaler ses oeuvres sur des durées assez incroyables. On a l'impression d'assister à des épopées intimes, à une vraie aventure où on ne peut que regretter la fin. La caméra portée emmène le spectateur à travers les différentes personnes qui composent le groupe d'amis. La scène du bar est assez incroyable car elle arrive à nous montrer les multiples éléments qui se passent dans une seule pièce avec une lisibilité étonnante. Les discussions sont déjà entamées mais on comprend, on écoute et on adore. Sa mise en scène fait également ressortir une grande sensualité émanant de ces personnages. La façon dont est filmée la danse de Céline est empreint de virtuosité et de désir. On dirait que les sentiments transmis à travers les images sont celles de Kechiche, nostalgique de ce temps ou c'était lui qui dansait en face de cette magnifique jeune femme.


Le réalisateur livre une ode à la représentation des corps, sous diverses formes. Il y a évidemment la passion brute et sauvage du sexe, celle où les mains se referment brutalement sur les peaux en sueurs. Je suis content qu'il n'y est qu'une scène de sexe dans ce long-métrage. Dans La Vie d'Adèle, c'est ce qui m'avait déplu. Sa façon de filmer l'acte ressemblait plus à de la pornographie qu'à de l'amour. Tout revenait à ça et délaissait les sentiments, les vrais. Ici, Kechiche a résolut ce problème et préfère montrer le désir par les regards, les sourires. A l'image d'un ballet, il nous livre ensuite une séquence magnifique où des corps se battent dans l'eau, sublimés sous le coucher du soleil. La musique classique qui l'accompagne accentue encore plus l'élégance et la beauté de ce moment joyeux. La troisième et dernière catégorie est le corps libéré, des contraintes sociétales mais aussi de sa retenue vis à vis d'autrui. La scène de la boîte de nuit illustre parfaitement ce propos, filmée presque à la manière d'un film pornographique lorsque les filles dansent sur les estrades de pôle dance.


Néanmoins, je dois malheureusement avouer qu'il y a des choses qui m'ont déplu dans ce long-métrage. Tout d'abord, Kechiche filme beaucoup trop les fesses de ses actrices, certaines fois justifiées, mais sans raison pour la plupart des plans. Il exagère et montre un côté voyeur qui ne devrait pas être présent dans ce très beau film. Ensuite, les parties à la ferme m'ont beaucoup moins passionné et sont des ruptures qui coupent le rythme pourtant bien géré. Après, je ne peux nier que le moment de l'accouchement est très beau et épouse à merveille le statut d'Amin qui attend patiemment mais ça aurait pu être un peu moins long.


Ainsi, Mektoub My Love: Canto Uno est un des meilleurs films de l'année et pourrait être considéré comme un chef d'oeuvres, en tout cas celui de son réalisateur. Il arrive à diluer l'instant présent pour nous offrir un spectacle d'une magnifique simplicité mais qui sonne tellement vrai. Peu de films actuels parviennent à faire ressentir cette bouffée d'air frais qu'on respire pendant toute la durée du long-métrage. Il faut dire qu'il y a un petit côté Rohmer dans ces jeunes qui discutent sur la plage qui n'est pas pour me déplaire. La direction artistique est quasi parfaite, captant certaines fois une lumière naturelle éblouissante et d'autres les rayons de lumière artificielle de la boîte de nuit. L'impression de non-scénario est à saluer, les personnages vivent et parlent comme on le ferait dans la réalité. Hâte d'être à l'année prochaine pour suivre les nouvelles aventures du groupe d'Amin ! Comme il dit pour la toute dernière phrase du film: "J'ai tout mon temps". Quoi de plus beau que ces mot pour terminer un film sur la vie et sur la façon de la vivre.

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le 15 août 2018

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