Pâté en croupe
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le 22 mars 2018
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Le dernier Kechiche était l'un des films que j'attendais le plus cette année, année qui s'annonçait chargée avec le Godard, la suite de P'tit Quinquin, le Tsui Hark, le Wes Anderson et j'en passe. Mektoub est le premier que j'ai pu voir de ceux qui me donnaient vraiment envie et encore une fois c'est une franche réussite. J'étais tellement impatient de voir le film que j'ai lu le bouquin de Bégaudeau. J'aurais pu m'abstenir étant donné que le film ne fait que reprendre très vaguement la trame principale : un mec en vacances qui veut baiser, mais qui ne baise pas.
Alors le livre est bien, mais Kechiche a fait une merveille en l'épurant totalement. Il avait déjà fait la même chose avec La vie d'Adèle, il a pris la BD boursouflée, viré au montage toutes les scènes qui aurait alourdies le film pour donner le chef d’œuvre qu'on connaît. Ici la coupe est encore plus drastique. Bégaudeau se perdait à la fin dans une intrigue pas possible (alors peut-être que Kechiche nous la réserve pour la suite, vu qu'une suite va sortir l'an prochain), ici il n'y a rien... Et c'est peut-être ça qui a décontenancé beaucoup de spectateurs, mais qui fait la force du film : l'absence d'intrigue... ou plutôt la force de son intrigue et à quel point elle est ancrée dans le quotidien des gens, des vrais gens : « baiserai-je ? » (pour citer Molière).
Parce que c'est ça le film, c'est un film qui se focalise sur l'essentiel, sur ce qui nous importe tous l'été lorsque l'on part en vacances, est-ce-qu'on va baiser... Si c'est explicitement dit dans le bouquin, ici Kechiche le fait par la mise en scène et les plans savoureux sur les corps féminins en maillot de bain. D'ailleurs on sent immédiatement dans le film toute la frustration, le héros débarque chez une amie à lui qui copule avec son amant. La scène est longue, intense, on voit tout... Forcément on sait que lui aussi a envie d'y goûter, surtout lorsqu'on voit son regard, lorsqu'on voit comment il regarde son amie à peine revêtue... Tout ça pue le sexe, mais lui ne peut pas y goûter.
Les séquences s'enchaînent, longues comme toujours chez Kechiche, permettant tout simplement de donner de l'importance à la trivialité, aux petits riens, aux regards, à la banalité des conversations, ce qui rend le film profondément juste... parce que des conversations comme ça on en a déjà tous eu... mais surtout il y a le côté miroir, forcément le spectateur s'identifie à ce héros qui a envie de baiser tous ces corps magnifiques qui passent à gauche et à droite, qui lui filent sous le nez... Mais lui est trop gauche... Il en sait pas saisir l'opportunité... C'est déjà arrivé à tout le monde, au moins une fois, à moins d'être un ermite.
Au travers de ces séquences les personnages se dévoilent, ils cessent d'être des simples archétypes de cinéma, ils sont, tout simplement. Tout est plus compliqué qu'il n'y paraît, les personnages ont une réelle profondeur, une profondeur tacite, qu'on devine avec les comportements incroyablement humains des personnages... La blonde qui semblait gentille et timide au départ n'est pas celle que l'on croit... et celle qui semblait avenante non plus... Les personnalités sont travaillées, mais on ne les raconte pas, on les montre, on les fait vivre pour que le spectateur les voit, les expérimente. C'est ça la force de Kechiche, tourner beaucoup et avec ce qu'il a réussir à mettre tous les détails qui vont rendre authentique une séquence.
Ici, dans ce film-là, c'est les sourires... Jamais des sourires n'auront été si beaux. Ophélie, Charlotte, Céline et même Amine, le héros, tous sourient... réussir à capter ces sourires gênés, ces sourires plein de désir, ces sourires amusés fait le génie du film.
Forcément lorsque le film est à ce point juste, il en devient carrément gênant, on a mal pour le personnage qui se fait mal à lui-même en étant trop cruche, parce que ce personnage est un reflet de celui que nous sommes tous. Bref, c'est mieux qu'une psychanalyse et c'est moins long !
Le film alterne donc les moments de grâce et les moments plus intimes... des moments qui peuvent sembler impudiques tant Kechiche semble avoir écouté aux portes pour reproduire des discussions qu'on a tous eues.
Kechiche ne fait pas là qu'un simple film de vacances, non seulement tout en gardant son propre style il se place dans la droite lignée des Rohmer ou Rozier, il fait un film sur la vie... D'ailleurs cette manière de errer de femmes en femmes pour voir laquelle correspond, laquelle va bien vouloir, de tester avec la quelle on aimerait bien être n'est pas sans rappeler un Conte d'été de Rohmer. Mais Kechiche semble plus optimiste, plus populaire aussi... Ici c'est des gens du peuple, ils parlent avec des mots simples et font ce que les gens font vraiment lorsqu'ils sont entre amis en vacances : aller à la plage, aller en boîte... Il n'y a aucun jugement de valeur, juste des gens... La morale est loin derrière... Les gens veulent s'amuser, et revient cette question entêtante... « mais demain ? demain... je baiserai ? ». Et je dis ça sans animosité aucune pour le Rohmer que j'adore tout autant. Mais la trivialité des situations chez Kechiche est succulente, il ne fait pas semblant de filmer des gens, il filme des gens... des qui sont ce qu'ils sont... ni bien, ni mal... juste des gens... des gens qui s'aiment, qui trompent, qui couchent, qui dansent, qui sont des commères...
Et puis on y revient toujours, cet espoir, ce petit jeu de séduction qui fait que peut-être, ce soir... je baiserai.
Bref, un film profondément sublime, enivrant, aussi long qu'il est bon... qui sait tirer parti de ses très longues séquences pour filmer ce que personne d'autre ne filme, sans avoir peur du faux raccord, parce que ce qui compte avant tout c'est la vitalité... Ces gens-là vivent et dans la vie il n'y a pas de faux raccord.
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le 13 août 2018
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