Un chef-d'oeuvre esthétique qui interroge les Hommes
Les raisons ne manquent pas qui légitiment le fait que l’on puisse parler de Melancholia comme l’un des tous meilleurs films sortis en 2011. Mais la principale, celle qui saute aux yeux à chaque seconde, sur chaque plan de cet ovni de 130 minutes sorti de l’esprit insondable d’un réalisateur désormais controversé, c’est que Melancholia honore ce que l’on appelle communément le septième art. Pas un acteur qui n’ait un rôle clé à tenir. Pas une scène qui ne soit orchestrée avec une précision chirurgicale et une virtuosité à donner le tournis.
Fable poétique apocalyptique, Melancholia, du nom d’une planète qui menace d’entrer en collision avec la Terre, régénère le film catastrophe essoré avec une rare pureté hypnotique couplée d’une émotion communicative.
Les images de la séquence d’ouverture à couper le souffle ne sont pas sans rappeler « The tree of life ». A la différence que là où Malick était essentiellement obnubilé par la nature magnifiée, Lars Von Trier nous parle de la Terre tout entière. Autrement dit aussi des Hommes. Durant toute la première partie consacrée au mariage de la glaçante, mystique et envoutante Kristen Dunst, la caméra du Danois harcèle ses acteurs (dont les excellentes Charlotte Gainsbourg et Rampling). Des personnages tous plus faux, malveillants les uns que les autres à l’image des travers du mariage élevé au rang de catastrophe naturelle mondiale. Tandis qu’en apparence le bonheur est là, à portée de main, tout, de plus en plus, nous débecte dans ce banquet mondain aux relents d’étouffe-chrétiens. Perdu au milieu de nulle part, le manoir épuré rajoute sa touche surannée que l’épisode précoce de la limousine avait introduit comme trame dégoulinante d’un gâteau scénaristique tiède.
Car à vrai dire, Lars Van Trier nous prend quelque part en otage de son psychodrame familial à échelle terrestre. Dans le sens où il nous réclame un effort d’attention durant cette première heure de plantage du décor qui peut paraître un peu trop étirée. Mais résister au jeu de massacre du bal des faux culs en vaut la chandelle. Véritable final en apothéose technique et psychique, les derniers trois-quarts d’heure sont d’une intensité bouleversante.
Face à l’incertitude de la trajectoire de la planète, fil rouge dont on peut regretter qu’on le perde de vue plus la moitié du film, les sentiments tourbillonnent dans notre esprit comme autant de questionnements ramenés à une seule interrogation. Essentielle. Vitale. Comment réagirions-nous à quelques heures d’une possible fin du monde?
Parce qu’il laisse à penser que la vie sur terre ne vaut pas forcément qu’on se batte pour elle, Melancholia peut paraître excessif. Presque extrémiste si l’on considère que la beauté plastique du film est telle qu’elle ne peut avoir d’égal qu’une portée morale assumée par son auteur.
De là à dresser un pont entre Melancholia et les propos abjects que Lars Van Trier a tenus à Cannes, il y a un gouffre. Il n’y aurait probablement pas eu un trou de souris entre le prix d’interprétation glané par Kristen Dunst et la palme d’or que Melancholia aurait pu (dû ?) décrocher si le réalisateur danois ne s’était laissé aller à des propos aussi condamnables que son œuvre est défendable.