Que dire d'un film qui ne m'a pas particulièrement plu, ni déplu, et sur lequel je ne parviens à produire qu'une critique incohérente et brouillonne (au moins pour mes lecteurs, qui sont les seuls qui comptent) ? Voici la question à laquelle je vais devoir trouver une réponse, en recommençant cette critique, en la traitant comme une matière vivante, comme une pensée informe qu'il me faut modeler, raboter, révéler. Il s'agira de faire l'historique de mes visionnages, interroger mes sentiments passés et présents, et faire l'aller-retour avec les images mêmes du film. Voila mon projet à présent, qui sera un travail sans doute difficile et de longue haleine.


J'ai vu Melancholia pour la première fois en compagnie de deux de mes plus proches amis, dont mon meilleur ami, qui était celui qui souhaitait nous faire voir le film. A ce moment là, j'ai trouvé Melancholia beau esthétiquement parlant, mais plutôt laid en termes de situations, à l'exception des passages véritablement "hybrides" où la situation retrouve la beauté esthétique, lesquels passages valent par ailleurs pour eux-mêmes, sans qu'on ait besoin du reste du film pour les apprécier (je pense surtout aux scènes de ralenti du tout début et puis la fin). Le film ne m'a quoi qu'il en soit, à ce moment-là, certainement pas laissé indifférent (en témoigne le fait qu'on est ensuite tous allés nous coucher quasi sans mot dire et qu'on en a pas vraiment parlé par la suite). Mais c'était une non-indifférence dont je ne savais pas très bien quoi faire: elle n'était pas de ces sentiments d'avoir été bouleversé, remué, pas de ceux non plus qui vous font vous sentir mal mais dont vous appréciez précisément la sensation. Et à l'inverse, je ne pouvais pas non plus dire que je n'avais pas aimé, même si une scène en particulier devait me hanter longtemps, tant elle avait bafoué mon code moral alors qu'elle ne représentait pratiquement rien pour le film. Ce que j'avais ressenti pendant et après avoir vu ce film, c'était un mélange de tout cela, et j'étais entraîné d'un extrême à l'autre du spectre de l'appréciation au fil de mes réflexions sur le film, sans arrêt, et sans que je puisse jamais en sortir quoi que ce soit de précis. Et cette situation en elle-même, examinée aujourd'hui avec le recul, ne se laisse pas tirer non plus plutôt d'un côté que de l'autre. Ainsi après avoir vu Melancholia pour la première fois, tout ce que je peux dire, c'est que j'ai été préoccupé.


Pourtant le temps a passé et le film a progressivement quitté mes pensées, plus difficilement que ce que j'aurais cru, à cause d'une scène notamment que je trouve inutile et qui m'a obsédé longtemps à cause de la violence de son amoralité (par rapport à mon code moral en tout cas). Finalement, lorsque bien plus tard je me suis inscrit sur SensCritique, le souvenir que j'avais de mes émotions passées sur ce film m'ont décidé à lui attribuer un 7, je crois, en tout cas une relativement bonne note, à titre de reconnaissance de ce qu'il m'avait un peu secoué. Pour autant, je n'aurais jamais eu l'idée de revoir ce film, qui trouvait en fin de compte, à l'état de souvenir, une certaine qualité. Mais la vie étant ce qu'elle est, je me suis malgré tout retrouvé face à ce film une nouvelle fois, il y a deux ans maintenant, à l'occasion de sa projection par l'association de cinéma de mon université. Mon fond culturel, en particulier filmique, s'étant développé depuis la première fois, j'étais sans doute plus à même de former un avis clair sur ce film, qui plus est vu cette fois sur un écran de bonne stature. Pourtant, si cette fois je me suis senti moins préoccupé au cours du visionnage, sûrement parce que j'étais déjà plus ou moins prêt à ce que j'allais redécouvrir, je me trouvais une nouvelle fois bien en peine de savoir ce que j'en pensais. Pourtant, cette fois, je pouvais dire que la première partie, celle du mariage, était décevante, parce qu'elle semblait annoncer de nombreux noeuds de relations intéressants à voir se nouer et se dénouer à la lueur de Melancholia. Mais tous les personnages introduits sont finalement évacués, qui plus est de façon peu convaincante (la relation entre Justine et son ex-nouvel époux m'étant tout à fait insupportable tant je la trouve peu crédible). Alors certes cette évacuation soudaine nous laisse un peu vides, à l'image de cette immense demeure désormais habitées d'à peine quelques âmes en peine, et prépare la nouvelle atmosphère de tristesse et d'amertume, mais je ne peux m'empêcher de trouver cela dommage. Juste après ce deuxième visionnage, je n'avais cependant rien de particulier à redire sur la deuxième partie, qui reste efficace mais aurait tout aussi bien pu se passer de la première, même si je n'ai pas été particulièrement touché par ce qui s'y déroule.


A vrai dire, je n'ai changé ma note sur SensCritique que bien après ce deuxième visionnage, quand ayant encore enrichi mon expérience cinématographique et critique, et poussé à repenser au film par certains de mes proches, j'ai commencé à regretter le manque de charge émotionnelle trouvée par les personnages/acteur en dehors de la situation fatale et inexorable qui relève de la science-fiction. La force d'avoir ramené une situation typique de film catastrophe/de SF à un drame, m'est alors apparu également comme une faiblesse: ce n'est qu'aux tous derniers instants dans lesquels les personnages enfin résignés s'abandonnent à l'étreinte de Melancholia que l'on a droit à une décharge émotionnelle, mais celle-ci est avant tout produite par la beauté graphique des effets spéciaux et la nature déjà tragique de l'événement en lui-même, et à ce moment-là les personnages cessent d'être Justine, sa soeur et son neveu, ils deviennent simplement trois êtres humains confrontés à une mort qu'ils voient venir de face et contre laquelle ils ne peuvent plus rien faire. Et qui est belle. Ce n'est donc pas les personnages qui sont en cause de l'émotion ressentie. Maintenant, vous pourrez objecter que peu importe ce qui produit l'émotion, pourvu qu'elle soit là. Je ne suis pas en désaccord avec cette remarque, tout ce que je peux dire, c'est que pour moi c'est important, et que l'émotion qu'auraient pu y trouver des personnages devenus vraiment des personnages, et pour lesquels j'ai peur et j'éprouve de la tendresse, aurait été plus forte.


Mais encore après avoir dit tout ceci, je ne peux pas dire que je n'aime pas Melancholia. En particulier parce que je me rends bien compte que j'élabore ici des critiques sur la base d'un souvenir, que j'abstrais et intellectualise, et qui n'a plus la force du moment. En réalité, je ne sais plus, ce que j'ai vraiment éprouvé en voyant le film. Alors pour le savoir avec certitude, et pouvoir le marquer ici-même de sorte à ne pas l'oublier, je décide de revoir le film et de terminer cette critique après cela.


... Finalement, le film s'est avéré meilleur que dans mes souvenirs (ce qui n'a finalement rien d'étonnant), notamment en termes de style. Je pense en particulier à la première partie en disant ça, filmée un peu façon found-footage, comme on s'attendrait à voir un véritable mariage filmé par un invité. Caméra à l'épaule, acteurs qui ne sont manifestement pas toujours sûrs d'être dans le plan, mais qui jouent encore,... De ce point de vue, l'atmosphère du mariage est très bien rendue. De même, j'ai sans doute été un peu dur dans mes mots sur la fin du film: les derniers gros plans sur Justine et Claire, véritables images-affections, sont beaux, pleins d'émotions qui jaillissent soudain sans que rien puisse les retenir. J'ai également trouvé intéressante la façon dont le spectateur peut "se retrouver" dans le film: les personnages y sont hypnotisés, absorbés par la contemplation inquiète de Melancholia, de même que nous le sommes devant le film (et devant tout film, finalement). Et Justine entretient avec nous un rapport étrange, comme si elle était notre égale: les choses qu'elle sait, il n'y a que nous qui les sachions également. Le nombre de haricots, la certitude que le monde va être anéanti, autant de choses que le spectateur sait et devrait être seul à connaître.


Toutefois, j'ai aussi conservé la plupart de mes amertumes, et en ai acquises de nouvelles. La fin du mariage et l'évacuation des personnages me laisse toujours quelques regrets, mais surtout, si je perçois mieux maintenant la disqualification de la masculinité opérée par Trier à travers les personnages du père de Justine et Claire, de Kiefer Sutherland et du mari de Justine, elle m'apparaît si exacerbée qu'elle en tombe dans le caricatural. Enfin, malgré ce que j'en ai dit un peu plus haut, le fait d'avoir ajouté aussi textuellement le côté omniscient de Justine a pour moi cassé tout le potentiel de mystère qu'elle détenait, et avec lui une partie de sa puissance émotive. J'aurais préféré un traitement plus discret, plus implicite, de ce côté mystique du personnage. En l'état, ce fut pour moi enlever au personnage une grande partie de la puissance qu'il avait peu à peu accumulé dans la première partie.


En somme, si je ne sais toujours pas dire si j'aime ou pas Melancholia, au moins ne puis-je nier que ce film peut me faire parler.

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le 8 févr. 2016

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