A un moment dans le film, exit les voix chuchotées et tranquilles, exit le badinage mesquin de ces trois intellectuels, exit le faux ciel nocturne et d'un bleu calme de Montrouge ; le film s'en va trouver sa nuit - sa vraie nuit. Romaine est dehors, pour la seule fois dans le film, elle est toute seule dans son grand manteau et descend les escaliers pour rejoindre le bord de la Seine. La caméra la suit, il y a une brume étrange qui l'étreint, et puis s'éloigne et plonge dans l'eau, comme elle.
A un moment dans le film, tout s'écroule. Non pas les voix, non pas les acteurs, car eux restent ce qu'ils sont, poursuivent leur texte, habitent ce récit imperturbable et posé sur ses rails jusqu'au bout. Un homme aime une femme qui la trompe avec un autre homme. Alors, Arditi joue cet homme qui s'aveugle, Azéma cette femme qui doute, Dussolier cet autre homme qui se pose entre les deux, comme ça. C'est une histoire d'un autre temps, du temps des vaudevilles-rois. Mais il faut bien que quelque chose s'écroule, alors, il faut que quelque chose vive, ou meure : il faut bien que Resnais fasse son film. Et il finit par le faire, l'air de rien, par touches successives, gestes polis, murmure de mise en scène. Dans une scène, Romaine se met à trembler. Ses mains sont jointes et se secouent, et convulsent. Sur le visage de Pierre la fièvre naît, il s'évanouit. Les corps bougent dans les cadres fixes, mais il bougent à cause du froid, à cause de la fièvre, à cause de tout ça. C'est physique. Romaine et Marcel sont liés, ils ne se quittent plus, et derrière le décor s'éteint. Il y a des miroirs dans des miroirs, des couleurs dans des couleurs. Le décor devient terne, étranger à l'histoire. Il devient fantôme, fantôme dans la nuit, arpentant le rebord de la Seine.
C'est une lampe qui s'éteint ou qui reste allumée qui dessine la tragédie. C'est la goutte sur le front ou sous les yeux qui zoome sur le malheur dessiné. Ce sont les mains tremblantes qui parlent du désir de mourir. Doucement, sur le film, sur ces tunnels de dialogues qui ne veulent plus en finir, la mise en scène de Resnais jette un voile de passion mortifère et destructeur. Dans ces cuts qui mènent au rideau rouge, il se dessine un vide à l'étrangeté macabre. Il m'a été difficile d'aller au bout de ce film agaçant, agaçant de sa tranquillité forcée, dans sa monotonie irréel. J'ai même beaucoup lutté, mais il se pourrait bien, finalement, que ce Mélo étrange et nocturne m'ais plus marqué que je ne veuille le croire. A suivre, donc...