En quête d'un nouveau marché à conquérir, Walt Disney souhaite affirmer la diversification de ses productions ciblées tous publics tout comme il cherche d'autres solutions économiques pour garantir la stabilité financière de son studio. En voulant mêler profit facile et renouvellement, il en vient à se tourner vers le cinéma en prises de vues réelles, plus sûr productivement parlant, en adaptant Les Contes de l'Oncle Rémus, série d'aventures à la portée historique de par son ancrage dans le vieux Sud.
L'ennui est que si les livres avaient déjà été vivement critiqués pour leur portrait de l'argot afro-américain, menant à des polémiques racistes, Walt Disney ne va faire qu'aggraver la situation en plaçant clairement l'intrigue dans un cadre d'après-guerre et passe sous silence toute notion d'asservissement, voulant capter un charme vieillot au sein du territoire où il fait bon vivre. La démarche est aussi déplacée que malaisante, créant un scénario incommode où les non-dits et la suggestion sont remplacés par des mensonges et des simplifications.
Mélodie du Sud traite d'une période épineuse, l'ère de La Reconstruction, où les relations raciales sont révisées après l'abolition de l'esclavage et le film a le malheur de ne pas vouloir en parler même quand cela pourrait lui être utile pour justifier ses images suspectes. En refusant d'expliciter le contexte, les liens entre les personnages deviennent étranges et leurs décisions nébuleuses. Sommes-nous tentés de voir en la mère du héros un sous-entendu selon lequel elle garderait une aversion envers les personnes de couleur (son hostilité vis-à-vis du rapprochement entre son fils et un vieil homme noir, son absence de regard ou de geste amical envers sa communauté) et de penser à l'inverse au sujet du père, miroir possible de Joel Chandler Harris, l'auteur des bouquins, dont la profession et la prise de position des articles semblent faire écho à son métier de journaliste.
Mais cela est affaire de spéculations, d'où tout le souci de ne pas commenter ou évoquer les faits contemporains. À l'image des allées et venues des noirs dans la plantation, plans les plus critiqués pour leur vision incorrecte et transformée de leurs conditions de vie, desservies par le manque d'informations sur le fonctionnement de l'exploitation après La Guerre de Sécession (les anciens esclaves pouvant être repris comme travailleurs payés au service du métayage). En voulant ignorer les sujets tabous, ni les enfants ni les adultes ne peuvent comprendre ce que le film cherche à nous raconter. En-dehors des apparences.
Car avec un fond si vague et une telle frilosité dans sa teneur, Mélodie du Sud paraît bien creux en comparaison avec sa promesse. Puisque l'écriture n'explore ni les oppositions raciales, représentées par l'Oncle Rémus, ni les oppositions sociales, incarnées en la petite Ginny, l'histoire ne semble pas avancer, enchaînant les scènes de parlotte sans but précis, et le final en souffre, se bouclant sur des rencontres idylliques qui font douter de la réalité des événements.
Le long-métrage ne trouve grâce et attrait que quand James Baskett, génial Oncle Rémus, se balade dans ses propres fables, à la fois narrateur et visiteur de passage, pour interagir avec les animaux de la Forêt et conter leurs expériences de vie. Ces mini-récits, qui auraient franchement mérité une série, sonnent authentiques et tirent leur poésie de leur aspect vétusté (des vêtements d'époque, un dialecte ancien, des raisonnements moralisateurs) en jouant avec des trouvailles humoristiques efficaces (l'appât du gain pour un dollar la minute), renforcés par l'expérience de Wilfred Jackson dans la réalisation de séquences animées et par un répertoire musical de qualité.
Les maladresses de Mélodie du Sud achèvent de faire du film une source de querelles à l'illustration très embarrassante. Disney en prendront note au point de lui interdire toute sortie physique sur le territoire américain et reniant formellement son existence. Si ses boulettes sont réelles, il demeure une oeuvre patrimoniale à l'importance non-négligeable dans la transition de l'animation au Live et se doit d'être reconnu, pour son statut de vraie production de cinéma et pour ses quelques bonnes idées.