« If we can't make memories, we can't heal. » LEONARD SHELBY

En 1996, les frères Christopher Nolan et Jonathan Nolan ont effectué un voyage de Chicago à Los Angeles. Durant le trajet, Christopher se montre intéressé par le scénario de son frère, au cours des prochains mois, Christopher demande à Jonathan à maintes reprises de lui envoyer un premier projet, et enfin, après quelques mois, Jonathan le lui envoie. Christopher a l'idée de raconter le film en brouillant les pistes chronologiques et commence à travailler lui-même sur le scénario. Au même moment, Jonathan écrit une nouvelle de son côté. Les deux frères continuent à correspondre et échangent leurs versions.

La nouvelle de Jonathan, Memento Mori, est radicalement différente du film de son frère, même si elle en conserve les éléments essentiels. Dans la version de Jonathan, Leonard est un patient dans un établissement psychiatrique, mais comme dans le film, il a perdu sa femme et sa mémoire à court terme lors d'une agression par un tueur anonyme. Il utilise des pense-bêtes ainsi que des tatouages pour retrouver le tueur. Toutefois, dans la nouvelle, le héros réussit à se convaincre par ses propres notes de s'échapper de l’hôpital psychiatrique et d’assassiner le tueur de son épouse, pour se venger. Contrairement au film, il n'y a aucune ambiguïté sur le fait qu'il réussit à tuer l’agresseur et ainsi se venger.

En 1997, la femme de Christopher Nolan, Emma Thomas, également productrice, montre le scénario de Memento à Aaron Ryder (dirigeants chez Newmarket Films). Aaron Ryder déclare que c'est peut-être le script le plus innovant qu’il n’ai jamais vu et, peu après, Newmarket Films dote le réalisateur d'un budget raisonnable pour lancer la production du film.

Memento sort en 2000.

On pourrait résumer le génie narratif de Christopher Nolan par une seule de ses idées. Son film sera un film sur la mémoire de son personnage Leonard Shelby, mais il aura beaucoup plus d'impact si il manœuvre aussi la mémoire du spectateur. D'où l'idée géniale de monter le film en séquences non chronologiques. Ainsi Nolan transforme un simple film sur la mémoire en une véritable expérience.

En réalité, il ne s'agit pas simplement de raconter l'histoire de manière non chronologique. En effet, l'histoire principale est tournée en couleur et son intrigue nous est présentée de la fin vers le début, mais des scènes en noir et blanc, montées dans l'ordre chronologique s'intercalent parmi les séquences de l'histoire principale. Et c'est là que tout cela devient très intéressant. Les scènes en noir et blanc constituent une sorte de prologue à l'histoire principale. Cependant, elles sont présentées aux spectateurs en parallèle de cette dernière. On ne peut parler ni de flash-back, ni de flash-forward, les deux histoires évoluent en parallèle pour finir par ce rejoindre.

Christopher Nolan choisi de tourner les séquences se déroulant dans le présent en noir et blanc dans un style documentaire, pour mieux faire entrer le spectateur dans l'esprit du personnage de Leonard Shelby (et ainsi le cerner de manière plus objective).

C'est en grande partie la manière dont il est construit qui fait de ce film un de mes classiques, un film qu'il faut avoir vu pour se prévaloir d'une quelconque culture cinématographique. Ce talent pour la narration combiné à ce qui ressemble à de l'aversion pour la linéarité, c'est cela le cinéma de Christopher Nolan. Le cinéaste se joue complètement du temps et de l'espace. Ils ne deviennent que des accessoires, des accessoires au service de sa narration. Il s'en joue mais en garde toujours la maîtrise.

Evidemment j'ai utilisé des dispositifs de continuité comme dans Following : les blessures, l'apparence, toutes ces choses qui donnent des indices quant à l'endroit où vous êtes chronologiquement et la relation entre les différentes scènes.

Aussi complexe que soit le script, Christopher Nolan en garde une parfaite maîtrise. Comme dans Following, comme il le dit lui-même, chaque élément, chaque accessoire peut nous servir à nous repérer, à spéculer, à interpréter l'histoire dont on est témoin.

On touche ici à une nouvelle particularité du cinéma de Christopher Nolan, il va laisser au public le soin de se creuser la cervelle avec d'innombrables interprétations. Chaque scène, chaque indice peut être disséqué. Plusieurs hypothèses sont possibles et le restent parfois jusqu'à la fin du film.

À ce stade du récit, le public en est à un tel point, il a une telle soif de vérité, tout comme Leonard, qu'il accepte les explications du menteur.

En définitive le film est une enquête. Une enquête que mène le spectateur à propos de Leonard Shelby. Qui est-il ? Comment en est-il arrivé là ? Pourquoi fait-il tout cela ? Mais avant tout, pourquoi s'est-il laissé cette note ? Au cours du film on revient dans le passé en allant de note en note. Pourquoi ne doit-on pas faire confiance à ce personnage ? Pourquoi doit-on croire celui-ci ? Comme un fil rouge, c'est cette dernière question que Leonard doit constamment se poser mais qu'il finit par ignorer sachant très bien qu'il n'en aurait jamais la réponse. Il n'a donc d'autre choix que de faire aveuglément confiance aux notes qu'il prend. Pendant l'une des scènes en noir et blanc Leonard explique que le conditionnement l'aide à vivre et qu'à cet égard il agit par instinct à la manière d'un chien de Pavlov. En réalité c'est à la fois ce qui l'aide à vivre et ce qui le fait tourner en rond à la recherche de John G. Car pour vivre il n'a d'autre choix que de faire aveuglement confiance à ses notes, ainsi il choisit à chaque instant ce qu'il doit retenir ou oublier. Il peut ainsi se convaincre lui-même qu'une personne n'est pas digne de confiance, même si au départ ce n'est pas la réalité. En ne se faisant confiance qu'à lui-même et en se faisant manipuler par ses propres émotions, Leonard ne se sauve pas, il s’invente ses propres mensonges.

Guy Pearce donne une interprétation volontaire et sans faille au pauvre Leonard Shelby, on aime le suivre dans sa recherche sans fin. Initialement c'était Brad Pitt pressenti pour le rôle, mais il n’a pas pu accepter à cause d’un agenda trop charger (on note une ressemblance tout de même).

Dans les seconds rôle, deux acteurs de The Matrix : Carrie-Anne Moss et Joe Pantoliano livrent eux aussi une prestation pleine de justesse surtout Pantoliano dans la peau d'un Teddy qu'on arrivera pas à cerner jusqu’à la fin / milieu du film.

David Julyan est de retour à la composition de la bande-son après Following. Comme dans le précédent film, il livre une très bonne prestation au service de la narration.

C'est l'histoire d'un film d'exception, un film qui s'affranchit de toutes les règles de narration, un film renversant qui a porté plus d'un cerveau à ébullition. À la fois révolutionnaire et fondateur, Memento ne laisse personne indifférent. C'est un tour de force pour un second long métrage de la part de Christopher Nolan. A voir absolument pour le travail de montage.

StevenBen
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le 11 juil. 2023

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Steven Benard

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