Memento n'admet pas le compromis. Soit on adore, soit on déteste.
C. Nolan, pour son premier film - je considère Follower plutôt comme un projet mis à terme - décide de frapper très fort, quitte à ne pas plaire.
Cela tient au sujet qu'il traite. Ceux qui ont vécu l'horreur de côtoyer des personnes atteintes d'Alzheimer le savent : rien ne semble plus horrible que la perte de la mémoire à court terme. On dit souvent à ce sujet que les personnes qui en souffrent le plus sont les proches, les voisins, les amis... En est-on sûr ?
Plutôt de nous faire vivre la vie d'une personne atteinte, C. Nolan choisit de se placer dans la peau d'un homme qui a acquis ce syndrome par un accident. Leonard est un Inspecteur des Assurances, chargé de débusquer les fraudeurs ou de régler les indemnisations des assurés victimes. (NB: en filigrane, est-ce normal que la Loi confie ce type de mission à des personnels non médecins ?). Celui-ci a perdu sa femme dans des circonstances tragiques et violentes. Il a perdu la mémoire peu après, dans des circonstances que nous ignorons.
Nous savons toutefois que Leonard avait côtoyé, dans le cadre de son boulot, un assuré présentant ce syndrome, qui n'avait aucun repère, aucune perspective, autre que celle de regarder la télévision, de préférence les publicités.
Conscient de cela, il se fixe un but : trouver le responsable de son double malheur et se venger.
Comment s'en souvenir ? En marquant les faits sur des indices visuels, accessibles. En cas de force majeure, il ne faut pas perdre sa quête. Son corps contiendra donc les informations essentielles, via les tatouages.
La première chose qui frappe le spectateur est la forme du film. Celui-ci étant sorti il y a longtemps, le spectateur l'ignore difficilement. Le film est construit à l'envers. Il part de sa fin pour arriver au début.
Certains adhèrent, d'autres non. On considérera quoiqu'il en soit, facilement, que là réside le principal intérêt du film, qu'il s'agit d'un artifice. On se trompe.
Parce que ce mode de narration est absolument justifié. Leonard n'a pas de mémoire au delà de quelques minutes. Le récit n'étant pas omniscient, le spectateur n'a pas à connaître davantage que le narrateur. En terme d'ambiance, le spectateur est perdu, comme Leonard. Il vit d'abord l'enfer de sa vie, puis il tente, à chaque plan, de se raccrocher à des détails, de se raccrocher à ce qu'il connait. Tous deux luttent pour connaître la vérité.
La vérité. Doit-elle se baser sur la mémoire ? La mémoire peut nous jouer des tous, elle peut être altérée, enjolivée, être jouée par la persuasion. La vérité doit-elle se baser sur des faits ? Ceux-ci se sont passés, ils sont indélébiles, impossibles à trafiquer. En est-on sûr ?
Peu à peu, le spectateur s'angoisse, car s'il n'en sait pas plus que le narrateur sur l'origine des évènements, il en connait la suite. Dès lors, vers la moitié du film, il le surpasse. Alors, la pitié et la détresse s'installe, pour ce Hero attachant manipulé sans vergogne par ses pairs.
Plus qu'une simple vitrine formelle, Memento aborde donc de nombreux sujets. La mémoire fait-elle ce que nous sommes ? Que faire sans elle ? Que ressent le malade atteint d'Alzheimer ? Il nous interroge sur la condition humaine, sa faculté à manipuler un être faible pour accomplir ses desseins, sachant pertinemment qu'on ne prend aucun risque.
Memento est un premier coup de Maître. Il en laissera de côté par sa forme repoussante, forçant à s'accrocher, à admettre qu'on est complètement perdu, et que le réalisateur joue avec nous comme il joue avec son personnage.
Pour peu que l'on accepte, on en ressort avec une expérience qui nous marquera, de manière indélébile.
PS: Guy Pearce livre une prestation si touchante qu'on regrette son manque de films...
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