J'ai longtemps eu du mal avec le cinéma d'Apichatpong Weerasethakul, disons qu'il a fallu la palme d'or avec Oncle Boonmee pour que j'arrive à entrer dans son univers. Et là ce Memoria m'a totalement emporté. On part sur une délocalisation en Colombie, avec une distribution plus occidentale.


Le cinéaste arrive à toucher quelque chose d'universel avec cet récit onirique, systématiquement placé entre le rêve et la réalité. Il est sans doute l'un des réalisateurs qui y arrive le mieux avec Lynch (dans un style assez différent). Mais disons qu'il touche du doigt ce que c'est qu'un rêve, que d'être dans un état de demi sommeil. Le rythme très particulier de son cinéma y est pour beaucoup, c'est lent, il ne se passe rien, mais un beau rien, il y a toujours quelque chose à contempler. Quelque chose qui te plonge dans cette ambiance particulière où on ne sait pas vraiment ce qui est réel et ce qui ne l'est pas.


D'ailleurs il faut noter qu'esthétiquement il n'y a pas particulièrement de différence entre ce qui pourrait être un rêve et ce qui ne l'est pas. Ce qui participe donc à cette état de confusion du personnage et du spectateur où l'on ne sait pas bien ce que l'on regarde, tout en se laissant porter.


Rien que pour ça c'est un film sublime.


Mais le film possède des séquences que je trouve admirables, je pense à cette séquence avec le type qui fait du mixage sonore et qui tente de reproduire ce bruit sourd qu'entend l'héroïne de temps en temps et qu'elle est la seule à percevoir. C'est long, on voit vraiment l'acteur qui bidouille sur sa table de mixage. On est loin encore une fois des standards esthétiques des films où des types bricolent quelque chose sur leur ordinateur où il faut que tout aille très vite, où on sent bien que les acteurs ne tapent pas réellement sur le clavier quelque chose ayant le moindre sens. Disons qu'il y a bien quelque chose qui ancre ce film aussi étrange et onirique qu'il puisse être dans le réel, quelque chose qui le rend crédible et tangible.
En plus la séquence est magnifique puisque plus d'ingé son se rapproche du son entendu, plus le visage de Tilda Swinton se ferme. Sans rien dire on voit qu'elle est de plus en plus perturbée.


Et ce passage met en lumière quelque chose d'absolument fascinant : la difficulté à parler d'un son. Comment on décrit un son. Quels mots on a pour décrire un son et surtout comment on fait pour se souvenir réellement d'un son (déjà une image c'est dur).
Je veux dire qu'en tant que spectateur qui sursauté comme le personnage dans son siège lorsque le premier bruit s'est fait entendre, je n'étais plus sûr du son que j'avais entendu. En écouter des dizaines me perdait totalement, je n'étais plus sûr de ma propre mémoire.


Puis, bien sûr il y a tout ce final, d'une lenteur extrême, (et totalement surprenant), qui arrive à développer des idées magnifiques sur le sommeil, la mémoire... les souvenirs... Il y a quelque chose de grisant, le temps est dilaté, je n'avais aucune idée de combien de temps durant le film en allant le voir et en sortant j'étais incapable de dire s'il durant plus ou moins de deux heures... Il arrive à nous faire perdre tous nos repères et on est totalement assujettis à l'expérience cinématographique. Alors je suppose que tout le monde ne pourra pas rentrer dans cette proposition (dans la salle de cinéma, affreusement remplie de bobos, ce qui m'a fait me questionner sur ma propre boboité, certains ricanaient bêtement, même lors qu'il n'y avait rien de "drôle"), mais ce que Memoria m'a fait ressentir dans son long final, tant au niveau du questionnement que de la beauté de l'expérience proposée, je ne suis pas certain que beaucoup de films s'en sont approchés dans ma vie.


Et, chose rare, c'est un film que j'ai envie de revoir.

Moizi
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le 27 nov. 2021

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Moizi

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