Danish fried chicken
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le 29 mai 2016
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Non, Nicolas Winding Refn, le tentaculaire et égocentrique réalisateur danois, n’est pas le seul cinéaste de talent de son pays. Pour ceux qui n’en seraient pas convaincus, Anders Thomas Jensen vient prouver qu’il compte. A sa manière.
Pour une fois, dans un ultime exception, on aurait presque préféré que Men & Chicken, le nouveau film d’Anders Thomas Jensen soit traduit littéralement en français. Des Hommes et des Poulets. L’effet n’en aurait été que plus grand. Pour ceux qui ne transperceraient pas la brume publicitaire que forme parfois la langue anglaise, le pitch du film est pourtant aussi premier degré que sa traduction dans la langue de Molière. Illustration.
L’île de l’expérimentation
Men & Chicken commence par la mort. Celle d’un père qui transmet à ses deux fils, Elias (Mads Mikkelsen, Hannibal, Casino Royale) et Gabriel (David Dencik, repéré par le grand public sur divers David Fincher), un héritage qui n’en est pas un. C’est qu’il fut un père pour eux, sans en être un non plus. Pas biologique du moins. Leur vrai père, Evelio Thanatos, il est au loin. Loin de la civilisation, sur une des nombreuses îles perdues et microscopiques de l’archipel danois. De ces deux êtres moyens, anonymes parmi une société qui n’en fera jamais, ne serait-ce qu’une seule seconde, des héros, l’annonce de l’attente d’une nouvelle famille est une aubaine teintée qui plus est d’un certain prestige – vrai papa est un illustre scientifique retranché dans un immense manoir qu’il contrôle d’une main de maître. Supposément, du moins.
Les voilà donc tout heureux de partir de la ville, dans une voiture de fortune, vers la promesse d’une vie qui comporterait enfin quelques éclats. Enfin, autre que celui qu’ils ont en commun sur la face. Un bec de lièvre plus (côté Elias) ou moins (côté Gabriel) prononcé, qu’ils possèdent comme signe distinctif. Le seul. Gabriel a l’esprit d’un enfant de 5 ans, la masse musculaire d’un camionneur quarantenaire et les pulsions sexuelles d’un pré-pubère. Elias, malgré son poste de professeur, n’est pas bien plus adéquat. Ses tics et hics, comme sa profonde inaptitude sociale, n’y trompent pas.
Ensemble, les voilà débarquant sur la fameuse île. Le fantasme se vide aussi rapidement que l’ancienne cité est devenue fantomatique. Le maire prie pour conserver le peu d’habitants qu’il reste, sous peine de devoir perdre le qualificatif même de ville de son fief – et par là même, son poste. Une fois arrivés au manoir, les deux frères ne sont pas accueillis les bras ouverts, mais plutôt par une violence sourde et insensée de trois frères retranchés depuis bien trop longtemps. Pas celle provoquée par la haine, non. Celle des autistes, celle provoquée par le bouleversement des repères. Le père, lui, est absent. Mais désormais, il est trop tard. Ayant abandonnés le peu de lien qui les inscrivaient dans la société, Elias et Gabriel vont devoir découvrir une nouvelle famille, avec qui ils ont finalement bien plus d’atomes crochus.
L’amour est dans le pré (OGM)
Ils cherchaient un père. Ils finiront par trouver trois frères régis par l’absurde, la violence et la tendresse. Tout à la fois. La résidence de prestige est devenue le lieu de tous les possibles. Les poules, les chèvres, les cochons et même un taureau y jonchent le sol, y fientent, y laissent plumes, bave et parures. Cela ne gêne point Josef (Nicolas Bro), Gregor (Nikolaj Lie Kaas) et Franz (Soren Malling). Les trois frères, trois gamins de 10 piges évoluant dans des corps de trentenaires, alternent bêtises innocentes et flagellations terribles. Difficile d’appréhender l’univers proposé par Anders Thomas Jensen, jusqu’à ce que l’illumination vienne toucher le spectateur. Men & Chicken n’est sûrement pas un film social, ni une satire, ni une fable fantastique. C’est un film familial.
A la qualification de film familial, il ne faut pas comprendre « pour toute la famille », mais plutôt une déclaration d’amour à la vie de parents et d’enfants. Pour cela, il faut aussi aller piocher du côté de la vie de son réalisateur et scénariste. Anders Thomas Jensen, plus souvent à l’écriture qu’à la mise en scène, a eu le temps d’éprouver toutes les facettes de la vie de parent. Il a quatre enfants. Il sait ce que c’est, la valse des cris, des pleurs, des joies, des combats dans le salon, des jouets qui se perdent, des murs qui se salissent et des vases qui se brisent. Il sait les dérives d’attitude que peuvent provoquer des éléments aussi insignifiants que le motif d’une assiette ou la hiérarchie de l’heure du dodo. Dès lors, Men & Chicken se fait un malin plaisir à transposer, à taille d’adultes, l’échelle des violences, les traumatismes des punitions et les conséquences morales d’actes a prori insignifiants.
Plutôt que de transposer tout cet univers de manière brute, il préfère y glisser un soupçon de L’île du docteur Moreau de HG Wells. Petit à petit, les interdits prennent sens. Les monstres cachés dans la cave, ceux dont ne croit jamais vraiment dans les films d’horreur, se mettent ici à montrer leurs terribles griffes. Le dénouement se veut absurde. Il prend pourtant plus de sens que n’importe quel film social qualifié de réaliste pour sa simple faculté à rester le groin collé au lino. Chaque enfant est un petit monstre, un petit animal, une folle expérience scientifique créée par ses parents. Nous sommes tous ratés, tous soumis à des pulsions barbares. Ce qui ne nous empêche pas de nous aimer, chacun à notre manière, d’encaisser les coups plutôt que de les réduire à des étiquetages thérapeutiques. Puisque les qualificatifs que l’on choisit, homme, femme, brutal, intellectuel, cis ou transgenre, finissent par être subis, l’unité sera finalement retrouvée par la simple unité des déformations.
Grâce à Anders Thomas Jensen et son Men & Chicken, le cinéma danois offre au grand public une autre facette, une autre dimension. Celle des fables humaines, à l'humour pinçant sans tomber dans la complaisance ou le bas-étage facile. On peut difficilement faire plus authentique que le film de Jensen. Un paradoxe, tant l'histoire, prise dans son côté brut, peut sembler perchée. Ne vous fiez pas aux apparences : aimez plutôt le fond.
Créée
le 25 mai 2016
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