En 1951, les États-Unis traversent l'une des périodes les plus sombres de leur histoire : "La Chasse aux Sorcières". Un obscur sénateur du Wisconsin, brutale, brailleur et alcoolique, le charmant et zélé Joseph McCarthy, avait décidé de nettoyer les institutions américaines. En démasquant et punissant ces salauds communistes et leurs, non moins salauds, sympathisants, devenus une menace pour l'American Way of Life.
"He Ran All the Way", un Noir dans la grande tradition de ce genre, populaire dans les 40's/50's, est sous ses aires de petit film de gangster, une illustration des méfaits du maccarthysme, et de la paranoïa engendrée.
Non crédité au générique, le film est écrit par Dalton Trumbo, membre des "Dix d'Hollywood", condamné en 1947 pour avoir refusé de donner les noms de sympathisants communistes. Salaud. (Vous trouverez un biopic pas top fait y'a 2/3 ans, mais y'a Brian Cranston dedans, et c'est un bon moyen de découvrir (grossièrement) cette époque).
"He Ran all the Way" s'avère aussi être le dernier film de John Garfield, une star de l'époque, qui fût écarté des studios pour ses liens avec le milieu communiste. Le salaud. Et pour en ajouter à la tragédie, il meurt un an après ce film, à l'âge de 39 ans. Comme on dit hein, la vie cette sale race.
Dans le contexte de 1951, "He Ran All the Way" témoigne des mœurs de son époque, et des limites de l'hypocrisie de l'American Way of Life. Du dysfonctionnement de la famille Américaine, aux laissés pour compte qui pour goûter à la promesse d'une vie riche et paisible, qui leur est vendue, se tournent vers le crime.
Le métrage de John Barry ne fait ainsi que détricoter l'American Dream, et cette famille prisonnière, non pas du preneur d'otage Nick Robey (John Garfield), mais d'un modèle patriarcale très fort, déjà désuet en 1951. Le père prend ainsi sans arrêt la responsabilité de protéger sa famille, face à un danger que lui seul ressent, afin de conserver sa place, qu'il sent menacée.
Sa femme est blasée, son fils prend plus la situation comme un jeu, mais le pire est que sa fille souhaite voler de ses propres ailes. Ce qui pour lui en est trop. Faut pas déconner. Surtout que les membres de sa famille sont de plus en plus bienveillant avec Nick Robey, preneur d'otage débutant, vivant encore avec sa maman, et complètement dépassé par la situation.
Bien que nuancé, le personnage principale n'en demeure pas moins un tueur de flics. Mais la mise en scène crée sans cesse de l'empathie envers lui. Poussant le spectateur à se poser des questions morales, le bousculant face à un choix éthique, lorsque le récit fait du père de famille la véritable menace.
En 1951, le cinéma Hollywoodien devait encore répondre au Code Hayes, une liste de règles rédigées afin de préserver les spectateurs. Comme éviter de montrer du sang, du sexe, ou véhiculer des messages anti-américains. Parmis ces règles il y avait le fait que les personnages principaux se devaient d'incarner les valeurs de la nation, et être moralement irréprochables.
Avec son scénario, le taquin Dalton Trumbo (alors mit sur la touche) inversa subtilement les conventions. Faisant du gangster un personnage humain et faillible, et du père (garant des valeurs et des traditions) une menace aveuglée par l'ignorance de sa place privilégiée au cœur de la société.
Œuvre véritablement subversive et corrosive, "He Ran all the Way" défonce l'hypocrisie et l'absurdité des sociétés occidentales, à grand coup de cynisme dans la face. Montrant ce qu'est vraiment cet American way of Life, que les U.S.A cherchent à diffuser sur le monde.
Un modèle injuste, pervers, basé sur le paraître et le faux. Où les chanceux écrasent ceux qui ne peuvent atteindre ce que leur vendent les pubs, la télévision et le cinéma. Soit l'image fantasmée d'un pays qui dans l'imaginaire collectif est "l'Amérique", mais qui en réalité n'est que le fantasme d'une chimère.
À bientôt 70 ans, ce métrage très moderne propose une réflexion encore terriblement d'actualité, et un message qui fonctionne étonnement parfaitement. Alors bien sûr ça a vieilli, faut pas déconner, c'est un vieux film. Mais c'est un document inestimable sur la Guerre Froide, démontrant la présence idéologique dans les œuvres Hollywoodiennes, qui osent parfois se faire le reflet peu glorieux d'une Amérique nauséabonde.
-Stork._