D'un point de vue strictement narratif, le film aurait gagné à être plus concis. En élaguant les scènes répétitives, le récit aurait pu gagner en dynamisme et en puissance. Narrativement parlant, un format de 2h30 aurait été parfait. Attention, je fustige la durée seulement sur le plan de la narration; du point de vue de la documentation, je n'aurai pas été contre une ou deux heures de plus. Il est important de reconnaître que les répétitions contribuent à la documentation et affinent les contours des personnages. Prenez Michel, dont les longs plans fixes en salle révèlent une profondeur insoupçonnée; la nostalgie plane lorsqu'à de nombreuses reprises il s'adonne à raconter les histoires d'un livre qu'il est sur le point de refermer.
Il serait facile de rester en surface et d'articuler une critique autour du sujet qui à mon sens n'est pas celui du film. Non, je ne pense pas que la gastronomie soit le sujet qui intéresse Frederick Wiseman. Le vrai sujet, on le distingue plusieurs fois subtilement et une fois frontalement lors d'une discussion entre Michel et un ami/client. Il est ici question de monde qui change, de laisser sa place, d'être à l'écoute du futur. Le restaurant, la cuisine, le produit brut ne sont que des artefacts dans une toile plus vaste, celle de la transition et de l'adaptation.
La relation père-fils, notamment dans un contexte professionnel, devient alors un prisme fascinant pour explorer ces questions. Les moments les plus savoureux et humoristiques surviennent quand Michel interagit avec ses fils, jaugeant et autorisant leurs actions, symbolisant le passage à un nouvel âge de la gastronomie que Michel doit confier à sa descendance. Ce n'est plus seulement une question d'être meilleur que lui, mais de porter et de transformer son héritage. Le monde change et Michel n'est pas encore prêt à accepter que son fils ajoute un brin d'amande dans sa sauce...
Dans un autre registre, le sujet est également traité dans les inserts loin des murs du restaurant. Ces "reportages" dans le documentaire hurle les bienfaits d'une "naturalisation" de l'artisanat et de la paysannerie. Le monde évolue, les procédés doivent suivre. Certes, les intentions sont bonnes, mais elles peuvent parfois manquer de rigueur (la biodynamie???). À nouveau, l'obsession de Wiseman pour les détails et la complexité se manifeste, soulignant non seulement la transformation des pratiques culinaires, mais aussi les implications culturelles et sociétales qui accompagnent cette évolution. C'est une quête de compréhension, pas seulement de la nourriture en tant que telle, mais de tout ce qu'elle représente dans un monde en mutation.
En définitive, le film est une réflexion profonde sur l'évolution, pas seulement dans le monde de la gastronomie, mais aussi dans les relations humaines et les traditions. Il questionne la manière dont nous préparons l'avenir, à travers les yeux d'un homme qui doit à la fois préserver son héritage et l'adapter à un monde en perpétuel changement.