Histrionique
Remarquable et ambitieuse peinture d'un destin individuel dans le flot destructeur de l'Histoire, "Mephisto" raconte l'histoire tragique d'un homme qui vit sa vie derrière des masques, de peur de ne...
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le 10 janv. 2017
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Il existe au cinéma des images démoniaques en tout genre : Diable, sorcières et autres esprits maléfiques… Et si nous parlions de Faust dans ce faux Blow Up, car les inspirations faustiennes au Cinéma, il y’en a. Que ce soit le conte populaire, le chef-d’œuvre de Goethe ou autre pacte démoniaque,... de quoi bien évidemment faire un petit point sur la question. Commençons par les adaptations plus ou moins fidèles à la légende allemande, notamment celle de La Damnation de Faust de Georges Méliès en 1898 et l’impressionnant Faust de F. W. Murnau en 1926 qui deviendra le maître étalon de la filmographie faustienne. Si on ajoute La Beauté du Diable de René Clair en 1950, où Michel Simon (en diablotin sympathique) et Gérard Philipe se donnent délicieusement la réplique, ou encore le Faust de Aleksandr Sokourov et sa réappropriation du récit dans un monde déformé, aux couleurs ternes et à la beauté picturale indéniable. Il y’a également les inspirations liées au mythe faustien, avec ses ambitieuses aliénations dans La Dame de Pique de Yakov Protazanov en 1916 (adapté de la nouvelle de Aleksandr Pushkin), avec ses techniques cinématographiques étonnantes, ainsi que son très réussi remake britannique de 1945 : The Queen of Spades par Thorold Dickinson. Et puis il y’a bien entendu l’incursion évidente du pacte faustien dans le monde du showbiz avec le kitsch et coloré Phantom of the Paradise de Brian de Palma en 1974, ou encore dans le monde juridique de The Devil's Advocate en 1997 par Taylor Hackford. De pacte démoniaque qui flirte avec Satan, il y’en a aussi dans The Mephisto Waltz de Paul Wendkos, sorti en 1971 dans la veine sataniste de Rosemary’s Baby, sans oublier le cauchemar teinté de rouge et de noir d’Angel Heart d’Alan Parker en 1987.
Mais encore. Il y’a le mélange des genres, avec notamment la science-fiction dans Algol de Hans Werckmeister en 1920 qui fait du démon faustien un extra-terrestre. A part ça, la comédie satirique Fantasmes de Stanley Donen en 1967, swingy et so british, introduit un Diable dandy et sympathique sous les traits du génial Peter Cook et ses chaussettes rouges. Sinon, il y’a également La Légende de Faust de Jan Švankmajer (1994), film tchèque mystérieux (pour ne pas dire chelou) et ses effets d’animation en stop-motion, et ce ne sont pas les inspirations brumeuses de l’estonien Rainer Sarnet qui nous contredira avec son étrange November, sorti en 2017.
Tout cela nous amène à Mephisto, figure faustienne s’il en est. Ce film germano-austro-hongrois de István Szabó, sorti en 1981, nous raconte la tragédie faustienne en milieu Nazi, sans user de fantastique. La mise en scène réaliste penche plutôt vers un point de vue historique. On y suit un simple acteur du nom de Hendrik Höfgen, un acteur à tout moment, sur scène comme à la ville, qui multiplie les masques tout en se fondant dans la masse pour pouvoir mieux triompher. C'est la valeur de l'art du Nationalsozialismus (art choisi bien entendu) qui est vu à travers les yeux d'un artiste torturé, prêt à tout pour réussir, quitte à se duper lui-même. Un acteur parfaitement incarné par Klaus Maria Brandauer qui s'envole dans des tirades en cascade et qui arrive à être détestable et touchant à la fois.
"Ich bin nur ein Schauspieler" (Je ne suis qu'un acteur).
Une lecture intéressante du mythe avec un personnage qui incarne en parallèle Faust et Méphistophélès, alors que le Diable est tout autre. De Faust il a les rêves de grandeurs, l’ambition de la pérennité et ici la passion du théâtre. Et de Mephisto il porte le masque sur scène et habite le costume du pantin du Malin qui lui apportera enfin le succès. Cet homme, probablement inspiré de l’acteur Gustaf Gründgens dans le roman sur lequel s’appuie le film, n’est en fait qu’un comédien perdu qui se cherche et qui aspire à la gloire et à la reconnaissance tout en se trouvant des excuses pour soulager sa conscience. Mais peut-on vraiment y gagner quand on a vendu son âme ?
P.S.: Je suis ouverte aux suggestions de films sur le même sujet ;)
https://www.senscritique.com/liste/C_est_la_Faust_a_Mephisto/3021837
Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes 2021: Demain c'est loin, alors matons des films ! et C'est la Faust à Mephisto !
Créée
le 9 juin 2021
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