Charlotte Gainsbourg s'affirmant comme actrice avec un rôle enfin adulte offert par Bertrand Blier... De quoi la faire s'exalter alors avec le titre du film : "Merci la vie".
Mais dans le même temps, Charlotte Gainsbourg perdait son père, son éperdu admirateur... De quoi la faire se rebeller - et nous avec ! - en décalant le slogan choc d'un autre film de Blier : "P..... de vie !".
Début décousu ? Franchement, c'est pour retarder le moment d'aborder ce que Blier lui-même appelle un "film de crocs-en-jambe". Même ceux qui adorent le style ébouriffant du cinéaste mi-chauve mi-barbu se retrouvent à faire du "bliérisme" en chute libre ! Etre plus audacieux pour raconter et filmer ? On ne voit pas. La révélation d'Anouk Grinberg, elle, est de celles qui font le mythe du 7e Art. Trompettes !
Fini de temporiser ! C'est quoi, "Merci la vie" ? Le plus facile est d'y voir la version féminine des "Valseuses", premier succès de Blier et désormais film culte. Escapade de deux Lolita modernes entre littoral bordelais et arrière-pays languedocien, avec de folles rencontres. Et ça dérape d'ailleurs dès la leur. Joëlle la délurée subit un tabassage en règle, en robe de mariée et en sépia. Et c'est en couleurs que Camille la nunuche en bachotage la sauve dans son sidérant caddy aux mouettes (affiche). Dévergondage d'un type pour faire connaître à Camille ses sens (je l'aime bien, celui-là !). Meurtre d'un autre urinant des lames de rasoir. Puis, ça dérape de plus en plus question récit, teinte de pellicule, éclairage de scène, rythme de montage. Joëlle, fille facile, a contaminé sexuellement toute une ville pour un médecin escroc. De retour en plein tournage d'un film, elle devient actrice. On bascule avec les deux héroïnes dans une autre époque. Vision de Camille poussant son père jeune à la procréer avec sa mère réticente sur fond d'occupation nazie, personnalisée par un étrange officier.
Et... Le scénariste gagne la partie : film inracontable. 2 Lolita, 2 époques, 2 fléaux - Sida et Nazisme - mais dans tous les cas "un monde sans pitié".
Faire diversion avec les seconds rôles de luxe : Depardieu (le médecin), Carmet et Blanc (les pères), Girardot et Jacob (les mères), Trintignant (l'officier allemand). Revenir au film pour dire, quand même, qu'il est stupéfiant par télescopage de genres. Dramatique, homérique, comique, fantastique. Le jubilatoire exercice de style(s) d'un auteur sans contrainte.
A trop vouloir dynamiter le conformisme soporifique et le classicisme de mise en scène, Blier va jusqu'à prendre le risque d'ou-blier le public, attaché à des codes de compréhension rassurants. Mais il signe encore de rares, fascinants moments de cinéma autour de deux jeunes actrices en osmose avec lui, Charlotte Gainsbourg et la pépite vivante Anouk Grinberg.
"Merci la vie"... Mouais, pas toujours. Mais, tous comptes fait, merci Blier !