"Merci patron" un spectacle néo-libéral qui s'ignore !

François Rufin a commencé en janvier une tournée à travers le pays avec un "spectacle" composé d'un one man show précédé en première partie de la projection de son documentaire "Merci patron". Que dire du film ? Pour faire court il s'agit d'un hymne à la débrouillardise individuelle et à l'escroquerie bonhomme sur fond de lutte sociale avec dans le rôle principal un Zorro - Rufin omniprésent. Ceci étant, le rythme est alerte, le suspense et l'humour ne sont pas absents et les seconds rôles, à défaut d'être consistants, sont savoureux. S'il s'agissait d'une pure fiction, sans autre prétention que de distraire le spectateur, on pourrait trouver cela plaisant au même titre que les aventures de Robin des bois qui est si sympathique qu'on en oublie que c'est un brigand. Tout autre est la prétention de François Ruffin et le spectacle qui suit ne laisse aucun doute ; sous prétexte de débat post-film, en rebondissant sur les questions auxquelles il ne répond pas ou à moitié, il entame un show bien rodé composé d'un soupçon "d'analyse" économique superficielle, d'une pincée d'anthropologie du même tonneau et d'une grosse louche de logorrhée prétentieuse et démagogique. Son intention est dit-il, je cite de mémoire, "d'allumer dans nos cerveaux une petite lumière" entendez par là sans doute amener nos esprits obscurcis à réfléchir, mais attention pas avec des discours "intellos", le terme reviendra au moins trois à quatre fois dans le "spectacle" sans la moindre distanciation et surtout sans se rendre compte que ce faisant il alimente l’ignorance anti-intellectuelle et réactionnaire de plus en plus répandue, qui est une des caractéristiques, et peut-être la plus dangereuse à terme, du climat social qu'il prétend dénoncer. Bien au contraire il semble qu'il le revendique : "j'ai beaucoup de peine avec l'abstraction, je pense dans une relative concrétude" (Le Comptoir). Vous avez bien lu, mais il faut croire que passer un certain niveau dans la réflexion, la langue française n'est plus assez riche pour exprimer les nuances de la pensée !
Mais revenons à la réflexion à partir du film puisqu'on y est convié, et constatons tout d'abord que F. Ruffin aime les ouvriers et ne veut que leur bien, ceci dit sans ironie aucune, seulement voilà il les aime, sans doute à son corps défendant, à la place de figurants et quand les choses deviennent sérieuses, que l'heure est à la négociation, fini de s'amuser, exit le fils Klur, Monsieur Ruffin prend les choses en main.
Ensuite demandons nous pourquoi B. Arnaud cède si facilement au chantage sans résistance héroïque c'est le moins qu'on puisse dire ; et bien figurez-vous, et on est prié de ne pas rire, que c'est par crainte d'une campagne de presse... dans Fakir ! Que F. Ruffin en soit persuadé passe encore, mais de la part de Frédéric Lordon (Monde Diplomatique) on reste pantois. Jean Gadrey (Alternatives économiques) a au moins le mérite d’émettre de sérieuses réserves même si sans doute le souci de soutenir le petit copain l’empêche d’en tirer les conséquences.
La vraie raison seul l'intéressé la connaît mais rien interdit d'émettre une autre hypothèse. Et si B. Arnault devant cet acte de "bravoure" individuel s'était dit : tient voilà au moins un chômeur qui se prend en charge, qui ne se laisse pas aller, qui se bat, en un mot qui est proactif comme on dit dans la novlangue d'aujourd'hui, bref quelqu'un comme nous et non pas un des ces "moutons embrigadé par son syndicat", cela vaut bien une récompense, un bonus de bienvenue au club des homo economicus ayant le sens des affaires. Ce n'est pas plus farfelu que la première hypothèse et à le mérite d'éclairer les choses sous un autre angle. Le titre du film prend alors tout son sens au premier degré, mais on en vient à s’interroger sur le rôle de faire valoir qu’y joue la responsable CGT…
Sans se livrer à de trop vertigineuses extrapolations, on peut aussi raisonnablement penser que B. Arnault sait compter et qu'il préfère sans doute faire l'aumône en douce à un individu qu'être contraint par un puissant mouvement collectif à verser de substantielles indemnités de licenciement à l'ensemble des travailleurs. Car bien entendu la démarche des Klur est une arme à un coup, d'ailleurs le représentant de B. Arnaud le précise clairement lors de la négociation, mais Ruffin n'en a cure, que le plus malin gagne !
En bref, que B. Arnault, mû par la logique du capital, transforme un honnête travailleur en chômeur est parfaitement condamnable mais ne justifie en aucun cas que F. Ruffin, mû par ses dispositions, transforme ce malheureux chômeur en escroc, partant comme il le dit du principe que la fin justifie les moyens, comme si celle-ci était indépendante de ceux-là et que la lutte de classes était une entreprise de chantage et d'extorsion de fonds !
Si F. Ruffin dessine la nouvelle figure de la gauche radicale, il est malheureusement à craindre que le capitalisme néo-libéral ait de beaux jours devant lui.

Trouloyau
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le 22 mars 2016

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