Une femme (60 ans environ) est veillée par son fils. Elle est très malade et épuisée alors qu’il est en pleine force de l’âge. Ils vivent dans une maison banale en pleine campagne. Tous deux savent que la mort est proche. Elle en a peur et elle le dit. Il lui répond qu’elle n’a aucune raison de mourir. Il fait son possible pour la rassurer. Il est fort et se veut paisible. Elle est tellement faible qu’il la porte pour sortir, enveloppée dans une couverture, pour qu’elle profite de la nature et lui faire un peu de lecture. Elle se laisse faire comme une enfant. On sent qu’ils ont inversé les rôles depuis son enfance à lui. Leurs manifestations de tendresse sont à la fois pudiques et émouvantes.
Sokourov filme un tête-à-tête d’une extrême simplicité et sur une durée très raisonnable (1h08) en réduisant le dialogue au maximum. Il se contente de montrer, ce en quoi il fait œuvre de cinéaste comme cela a rarement été fait. Sokourov filme la nature comme l’élément primaire de la vie. Nous sommes au printemps, une journée de ciel gris et à un moment où le soleil un peu rasant donne malgré tout de la lumière, ce qui donne une luminosité très particulière, dans les jaunes très chauds. Outre le gris et le jaune (ainsi que le vert de la végétation), l’ocre est la couleur dominante. A l’image du teint cireux du visage de la mère.
Mère et fils vivent comme les derniers êtres vivant sur cette terre. C’est tout juste si on aperçoit le panache de vapeur d’une locomotive au loin sur la steppe, ainsi que les belles voiles d’un bateau sur la mer. La nature bruisse doucement, comme le vent sur un champ de blé (plus beau que dans « Witness » c’est pour dire). En fait, la nature est filmée de façon à la fois somptueuse et bizarre. En effet, de nombreux plans sont déformés optiquement, montrant souvent des éléments inclinés alors que ce sont des repères verticaux (des arbres). Il y a également des angles de prises de vue qui surprennent parce qu’on a senti des distorsions d’images auparavant. La distorsion indique évidemment qu’il se passe quelque chose d’inhabituel. Elle rappelle aussi fortement ce qui saute aux yeux dans certaines peintures. Je pense à Edvard Munch par exemple (« Le cri ») ou aux paysages de Turner où le ciel agité occupe l’essentiel de la toile, mais surtout à Van Gogh. De nombreux plans y font penser de façon irrésistible. Sokourov vous intimide ? Le sujet vous fait fuir ? Oui, mais comme beaucoup vous aimez les toiles de Van Gogh. Pourquoi ? Parce que la folie y est palpable ? Probablement. Mais aussi à cause de la sincérité qui s’en dégage, de la beauté des couleurs aussi et de la vie, la chaleur, etc. Eh bien voilà, ce film m’a fait le même genre d’effet. Je ne suis pas spécialement un adepte des effets de filtres ou autres pour faire de la belle image, de l’image plus belle que nature. Ici on a des images trafiquées dès le début. Quelque chose qui intrigue et qui pourrait agacer s’il n’y avait rien derrière. Mais Sokourov associe évidemment la beauté de la nature avec la beauté du lien qui unit cette mère et son fils. La nature est somptueuse et majestueuse. La force du lien entre cette mère et son fils est d’une force aussi évidente que la beauté de la nature. La musique est peu présente et très douce, mais elle fait partie de la beauté de notre monde. Elle accompagne certaines scènes.
Un beau film qui a la force des grands films muets des années 1920. Il ne faut évidemment pas s’attendre à autre chose ici qu’un film lent et contemplatif. La caméra ne bouge que très peu, ce qui est parfaitement adapté à la situation. Dans le genre, c’est une pure merveille.
Les acteurs sont étonnants. Le film pourrait avoir un côté théâtralisé. Le drame pourrait exacerber les situations. Non, le spectateur a toujours la sensation d’observer des gestes qui participent de l’intime. On se sent presque de trop. On a envie de retenir sa respiration pour ne surtout pas les déranger, ce qui justifie la quasi-absence de mouvements de caméra.