Combien de temps va-t-on encore gâcher cette lueur qui brille au fond du regard de tous ces jeunes ?
Mes frères et moi nous touche dans ce qu'il y a de plus simple et c'est précisément là que réside toute sa beauté. Yohan Manca ne nous narre pas l'histoire d'un prodige des cités qui malgré une jeunesse très compliquée, va devenir un grand de sa discipline.
Au contraire, ce film véhicule un message fort et simple : l'échange au travers d'une activité artistique ou sportive - où la sensibilité et la compréhension des uns et des autres règne - permet de tirer beaucoup plus d'un enfant que de sans cesse lui opposer une discipline extrême, une violence psychologique et un rapport dans la force à l'image de la BAC, le grand frère de Nour ou du surveillant de travaux d'intérêt général - opposition qui ne fait que nourrir un sentiment d'injustice qui peut se traduire comme une force dans le meilleur des cas ou tendre vers la haine comme le jeune Hedi en est l'exemple criant dans ce film.
Ce film fait passer un message politique : la présence dans nos cités de bénévoles pétris de talents et HUMAINS qui sont prêts à transmettre leurs connaissances dans le partage et l'amour, plutôt que dans le jugement, peuvent à travers d'ateliers avec un certain suivi possible, permettre d'éduquer et sauver nos jeunes, ceux qui souffrent et à qui l'ont dit que la cité ne les quittera pas.
Mes frères et moi nous plonge dans l'intimité la plus totale mais jamais dans l'excès. Celle d'une réalité complexe qui semble peu propice au sain développement d'un enfant et qui pourtant, permet de créer des liens forts entre frères et une résilience pour continuer de vivre. Car c'est bien de la résilience qu'il faut à Nour qui espère secrètement réveiller sa mère d'un long sommeil à travers sa voix.
Yohan Manca nous montre aussi l'importance de la sensibilité dans nos relations humaines pour comprendre les réactions d'un enfant qui vous rejette, vous insulte et pourrait vous frapper parfois ... comportements compliqués à gérer pour Sarah qui ne demande qu'à exercer sa passion avec des jeunes d'un milieu loin des codes de l'opéra classique. Mais c'est lorsque l'on voit un petit peu plus loin que le bout de son nez, lorsque l'on a le courage de se demander pourquoi réagit-il ainsi, lorsque notre sensibilité prend le dessus sur la discipline que notre métier est censé exigé dans notre système, que l'on réalise tout le mal être que peut traverser un enfant et tout l'écosystème qui l'entoure. Il a fallu 5 minutes à Sarah pour réaliser la cité où vivait Nour et comprendre que les tentations vers le vol à l'étalage ou la drogue était pesante voire omniprésente, pour comprendre le cadre oppressant de son plus grand frère protecteur. Pour in fine comprendre que Nour vit avec ses 3 frères livrés à eux mêmes tentant désespérement et avec courage de s'en sortir.
Un des plus beaux moments que nous offre Yohan Manca réside dans la dualité entre le lourd silence où Sarah rencontre la maman de Nour et finit par s'effondrer en larmes devant cette dure réalité - et la violence démesurée déployée par la BAC pour quelques grammes de drogue. Une dualité qui fait mal à voir entre d'un côté la sensibilité d'une femme qui en acceptant ce câlin (un peu plus tôt dans le film) apporte ce dont le monde a besoin : de l'amour, de la tendresse, du partage, de la compréhension, de la sensibilité in fine - et une violence acerbe dénuée de toute émotion qui finit par envoyer Hedi en prison là où il sera à coup sûr perdu .. au lieu de l'accompagner vers une longue guérison intérieure qui l'attend.
On pourrait aller plus loin et se demander pourquoi notre société manque tant de sensibilité et d'amour dans nos rapports. Pourquoi opposons nous toujours violence et répression à des comportements que l'on cible comme déviants ? Pourquoi la sensibilité est associée à un idéal féminin et pourquoi les rapports entre hommes, entre hommes / femmes, entre parents / enfants, élèves / professeurs ETC ne pourraient pas eux aussi être sous le signe de l'ouverture, de l'écoute, du respect et de l'amour ?
Combien de temps va-t-on encore gâcher cette lueur qui brille au fond du regard de tous ces jeunes ?