Un plan fixe moyen s’ouvre devant nous. Un chasseur apeuré par une déesse (Diane ?) fuit en mouvement ralenti et disparait en hors-champ. Fermeture en noir puis raccord brutal d’un camion terrifiant, menaçant des adolescents de les écraser. L’accalmie retombe immédiatement et plus personne ne s’informe du sort du conducteur étrange, Jupiter, le Roi des dieux. Alors que chaque être humain s’empresse de regagner leur confortable habitacle, l’ingénue Europe est intriguée. L’odyssée de ladite Europe commence. Un siècle avant, Félix Vallotton matérialisait le mythe d’Ovide sous forme d’une stéatopyge, potelée, charnue, enlevée sur le dos de Jupiter, métamorphosé en taureau.
C’est que la didactique du mythe intrigue forcément mais quel est l’intérêt du mutos (le mythe) ancré dans le logos (la raison, le réel)? La didactique du mythe tente de déterminer grâce à sa puissance poétique de suggestion, une réflexion supérieure que ne peut se permettre le logos, puisque la raison fait appel à des concepts, souvent enfermant et délimitant « l’impensable » et « l’impossible » ; ici, légendaire. Par sa structure transcendante, le mythe permet l’imagination et le dépassement du réel grâce à des images parfois fantasmagoriques, allégoriques, sinon illusoires. L’ambition de Christophe Honoré, qui revient à une forme plus épurée et réelle de son cinéma, est alors toute trouvée, tout en ne changeant pas le fond : idéaliser le réel pour retranscrire une vérité. Mais y parvient-il ? Assurément non.
Ce qui peine à s’éveiller dans Métamorphoses, c’est d’emblée l’attrait pour les personnages et l’esthétique si singulière choisie pour le dernier long d’Honoré : l’absence totale de couleurs, de mise en scène, seulement la fausse humilité des plans, épurés jusqu’à ne retrouver que de faibles perspectives avec, en premier plan, les personnages mythologiques échangeant singulièrement sur l’histoire mythologique. De prime abord, cette didactique qu’on retrouve tout au long du film peut sembler très intéressante par son caractère d’univocité : le mythe apprend ce que la raison ne peut décrire, ne peut conceptualiser. De ce postulat, Honoré nous surprend en contre-pied car sa mise en scène vient s’opposer au caractère emphatique de la mythologie : Des dieux qui fument des cigarettes, humanisés et faibles, comme l’Homme, ça fait forcément mouche.
Malheureusement, le cinéaste n’arrive jamais véritablement à sortir de ce caractère faussement négligé et singulier. Se déroule alors un récital de mythes, pour la plupart intéressants, qui sont un prétexte à l’apprentissage d’Europe et par extension, l’allégation du style artistique du cinéaste. La retranscription du mythe dans le réel est non seulement périlleuse et maladroite par sa singularité, mais également transfuge. Tant est que Métamorphoses provoque l’ennui à différentes séquences du film. Aucune empathie n’est créée autour d’Europe et le choix (c’est un parti pris) d’avoir sélectionné des acteurs non-professionnels vient enlaidir exagérément le film : on constate, impuissant, à un film manquant cruellement d’esthétique et d’intrigue visuelle, malgré la sincérité (mais est-ce vraiment sincère ?) du réalisateur.
Néanmoins, plusieurs séquences viennent revigorer l’œuvre, notamment le mythe de Narcisse et le deuxième chapitre du film, quand Europe rencontre Bacchus. Honoré fait appel alors à l’élément comique qui arrive à point nommé mais vécu a posteriori comme une enclave au sérieux du propos. Le comique intervient et sauve le film de l’ennui total, l’ennui qui meurtrit des œuvres aussi audacieuses soient-elles.
L’énième fable d’Honoré annonce des mythes emprunts d’une poésie mais qui ne respectent ni l’essence ni l’utilité. Elle apprend, par son pan moral, un dénouement. Mais finalement, sait-on qu’est-ce qu’on apprend ? L’aspect pédagogique est louable mais un film ne doit pas se préciser seulement à un cours et aux révisions d’un ouvrage qui reste encore trop peu lu. Un dernier fondu puis le générique de fin nous laissent perplexes. Qu’en est-il de tous ces corps d’hommes, de femmes et de dieux ?