Les trottoirs de Manille ...
Commentaire sur le film en salles.
Ça commence par de très belles images de rizières en eau, comme on les aime dans Géo.
Mais ça ne dure pas plus de quelques secondes : très très vite on se dit qu'on est plus proche de l'enfer que du paradis ... et on ne sait pas encore combien on a raison.
Prenez donc un joli petit couple avec enfants aux Philippines.
Fermez l'usine de soie où travaillait le papa pour un salaire de misère.
Envoyez alors toute la famille aux rizières. Faites que la récolte soit pas très bonne (facile), que le cours du riz plonge cette année-là (toujours facile) et qu'ils n'aient plus de quoi acheter les semences de l'année suivante. Bien.
Envoyez les ensuite à la ville, la grande ville, Metro Manila, histoire de les faire rêver à un avenir moins pire.
Ça y'est, bravo, vous venez de plonger votre première famille en enfer. Vous êtes au niveau deux.
Prenez maintenant un gentil petit couple de cinéphiles parisiens.
Envoyez les sortir, un soir de fortes chaleurs. Faites en sorte que parmi l'abondante récolte de navets estivaux, ils trouvent finalement quand même une salle qui diffuse encore Metro Manila (là, c'est pas facile). Faites les assoir confortablement.
Ça y'est, bravo, vous venez de plonger un autre couple en enfer. Vous êtes au niveau trois.
Bon évidemment, il vaut mieux être avec le couple parisien de ce côté-ci de l'écran qu'avec Oscar et Mai de l'autre côté. L'enfer n'y a pas le même goût. Mais purée quel film ! Quelle tension !
On ne vous dira pas comment finiront Oscar et Mai, mais les parisiens ont terminé accrochés l'un à l'autre, l'estomac noué pour le reste de la semaine.
Dès les premières images (on devrait dire : malgré les premières images) la tension est difficilement soutenable et ne se relâchera pas un instant. Chaque scène est d'une dureté impitoyable, on ferme presque les yeux parfois et pourtant la vraie violence n'est quasiment pas montrée.
Chaque situation, même la plus anodine, est sous haute tension : le pire semble toujours et constamment sur le point de survenir.
Comme cette scène où Mai revient avec sa fille qui souffrait d'une dent infectée : la fillette va mieux, Oscar est content, super, comment as-tu fait chérie ? oh, je suis passée au centre social ...
Ben voyons. On ne sait pas comment Mai s'est débrouillée pour payer le toubib véreux. Ou plutôt si, on devine. Ou plutôt non, on ne veut pas savoir. D'ailleurs tout comme le mari, Oscar, on ne pose plus de question.
Oscar et Mai trouvent finalement deux petits jobs à Manila pour tenter de survivre. On vous laisse deviner ce que la jolie Mai peut vendre (facile), quant à Oscar lui, il vend tout simplement sa vie : il est convoyeur de fonds (façon Brinks) dans la ville de tous les trafics et de tous les dangers. Le soir, tous deux se gardent bien de se demander l'un à l'autre, quel travail il a bien pu faire. Dans Metro Manila, pas question de dialogues dans le genre : alors chéri(e), comment s'est passé ta journée ?
Non, on passe sa plus belle chemise et, le cœur gros et l'estomac serré, on y retourne ... et on préfère ne pas demander où.
Leur couple fait de souffrances, de silences, d'espoirs, est particulièrement bien filmé. Les regards en disent plus long que les mots, des mots qui seraient de toute façon bien incapables de rendre compte de l'enfer philippin. Les (très belles) images de Sean Ellis sont là pour ça.
Au début du film, l'inexorable descente aux enfers (arnaque au logement sordide, arnaque au petit boulot, ...) est sans doute un peu démonstrative et appuyée. Mais bientôt le film trouve son rythme implacable et nous scotche au fauteuil.
L'intrigue (bien vue) se noue peu à peu entre Oscar et le sympathique collègue convoyeur qui l'a pris sous son aile protectrice. Beaucoup trop protectrice, on s'en doute bien, mais le film est habilement construit qui distille de nombreux indices sans nous laisser entrevoir la très belle fin (enfin 'belle', c'est une façon de parler, hein ?).
Saluons au passage l'interprétation du collègue d'Oscar (John Arcilla) sur qui repose une bonne partie de la crédibilité du film.
On a lu des critiques beaucoup trop sévères sur ce film que certains disaient décevant et hésitant, avec des images esthétisantes qui mélangeraient sans discernement le polar et la critique sociale.
Certes les images sont particulièrement bien cadrées, mais sans jamais décoller de la misère que Sean Ellis veut nous donner à palper. Pas question ici de faire du beau avec du vilain.
Certes l'histoire est romancée à souhait, mais parce qu'il s'agit d'une fable, d'une légende urbaine, d'une double légende d'ailleurs mais avec une seule et même morale : dans les situations désespérées, l'homme est conduit à des actes désespérés.
Tout au long du film, quelques flashbacks éclairent peu à peu le funeste destin d'un ancien collègue d'Oscar à l'usine de soie : Alfred était si désespéré qu'il commit un acte fou pour tenter vainement de sauver sa famille.
Oscar a tiré les leçons de cette première fable. Et il construit la sienne.
Ne manquez pas ce film coup de poing.
Et rayez définitivement les Philippines de vos destinations de voyages.
Au passage, entre deux crispations tendues aux bras du fauteuil, essayez quand même de goûter un peu le charme du pilipino (la langue locale issue du tagalog mais avec tout plein de mots empruntés à l'espagnol ou à l'anglais).