Le dernier plan de Meurs, monstre, meurs restera à l’image du film en entier : symboliquement lourd et pas mal démonstratif. On y voit la bouche d’un monstre, monstre qui tue et décapite des femmes dans cette région reculée de la cordillère des Andes et traqué par la police locale, s’ouvrir largement et prendre la forme d’un vagin denté, ce fameux vagina dentata que l’on retrouve dans presque toutes les cultures et qui, en psychanalyse, désigne l’angoisse inconsciente de castration chez l’homme par la femme. Et si en plus ce monstre possède une longue queue terminée par un gland et un bas du visage évoquant deux testicules, on se dit qu’Alejandro Fadel cherche visiblement à nous dire quelque chose (et visiblement d’ordre sexuel).
Sauf qu’il n’abordera cet angle-là qu’en toute fin de parcours, comme une sorte de bonus thématique arrivant comme un cheveu sur la soupe et en rajoutant une couche sur les possibles lectures d’un film qui chercherait à se la péter en accumulant pistes et sous-textes allégoriques (transmission des fluides, sentiments à la masse, rébus géométrique, voire cosmique…). Le monstre, avant d’être une créature errant alentour à la recherche de ses proies, est surtout une extension de nos propres abîmes existentiels et comportementaux, et qu’on les nomme frustration ou mal-être, violence ou peur (voir la scène où le capitaine de police énumère différentes phobies), Fadel exprime à travers eux (et à sa façon) nos rapports corrompus au monde.
Louchant ostensiblement vers Carlos Reygadas (Post tenebras lux) et Amat Escalante (La région sauvage), vers Bruno Dumont aussi, Cronenberg et Lynch (la musique a parfois de forts accents badalamentiens), Fadel, derrière une mise en scène austère, lâche la bride à une imagination des plus tordues. Meurs, monstre, meurs y va parfois avec les gros sabots, et son récit est tout nébuleux, et son final foutraque. On admettra en même temps que Fadel assume le côté Grand-Guignol (corps mutilés à gogo) et un rien farceur (le monstre, qu’on dirait échappé d’X-Or ou de Bioman) de son film qui, malgré ses airs abrupts, semble s’amuser de son côté WTF. C’est ce qui le sauve en partie de l’exercice de style auteuriste et imbuvable qui, entre naturalisme sec (les paysages sauvages et la vie rude de la province de Mendoza en Argentine), fantastique craspec et expérience radicale, a au moins le mérite de proposer un mélange des genres plutôt singulier.
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