Il est de bon ton de tailler ce "Die Another Day" et, sur bien des aspects, je peux comprendre ça.


Ce vingtième épisode, il a le malheur de s'inscrire dans une lignée peu glorieuse ; celle des James Bond avec Pierce Brosnan, c'est-à-dire celle des James Bond qui ont dû à la fois se réinventer narrativement (...parce que la fin de la guerre froide ça n'a pas fait que des heureux) mais aussi formellement (...parce que les années 1990, ça a aussi été l'époque de la course au spectaculaire dans le cinéma dit de divertissement.)
Et c'est vrai qu'à bien prendre ses prédécesseurs "brosnaniens", "Die Another Day" s'inscrit au bout d'une terrible pente glissante pas très glorieuse où l'ami Bond s'est mis à sombrer au plus profond de la série Z...


Alors c'est vrai que si on ne fait pas l'effort et qu'on reste sur ces crispations là, on saura trouver dans "Die Another Day" largement de quoi le haïr, de la chanson horripilante de Madonna à quelques effets numériques particulièrement dégueulasses (ah cette vague désormais mythique), en passant par quelques jumpcuts clipesques mal venus.
Tout ça je le concède bien volontiers...


Mais bon, sachons aussi remettre les choses en perspective.
J'ai l'impression parfois qu'on reconsidère les épisodes de James Bond au regard de la tournure que la saga a récemment prise sous l'impulsion de Sam Mendes alors que bon, James Bond ça a quand même toujours / souvent été des aventures dantesques contre des super-méchants mégalomanes.
A un moment donné il faut savoir accepter que la surenchère et certains archétypes scénaristiques font partie de l'ADN d'une saga et qu'on ne peut pas non plus s'en défaire sans nuire à l'identité de l'objet dont on s'est saisi.


Parce que oui, dans ce "Die Another Day" il y aura encore de la surenchère, des grands méchants mégalomaniaques et des archétypes scénaristiques, mais je trouve personnellement que cet épisode a vraiment le mérite de faire des choix audacieux et percutants au regard de la saga qu'il traite et surtout en considération de là où il la prend.


Moi je me souviendrai toujours de ce moment où, assis mollement dans la salle de cinéma avec des potes, on espérait sans entrain le lancement de cet épisode dont on n'attendait finalement pas grand-chose si ce n'est que de la resucée. Et pourtant quand le film s'est lancé, on s'est soudainement retrouvé avec des agents secrets qui débarquaient discrètement sur des plages nord-coréennes en surf furtif ; qui sortaient des flingues de leurs planches, et tout cela quelques minutes avant une course-poursuite sur des aéroglisseurs de l'armée populaire.
Non mais...
Non mais ouah quoi !
Moi, ça, dans un James Bond, je ne l'avais jamais vu !
Ailleurs non plus je ne l'avais jamais vu !


Pour le coup, moi qui ai toujours considéré que le charme de cette saga résidait dans cette capacité à détourner des objets et des représentations du réel pour composer un monde presque fantastique, propice à des joutes propres aux épopées chevaleresques, là pour moi on était totalement là-dedans !
Et en plus de ça toute cette pétaraderie finit avec le fait que James Bond ne s'en sorte pas ? Avec le fait que l'icône chute ? Non mais ça aussi c'est carrément nouveau ! C'est super-audacieux pour l'époque ! Pour le coup "Skyfall" n'a rien inventé !
Et tout le reste de l'épisode est finalement dans le même ton.


A dire vrai, je ne sais pas ce que les spectateurs déçus attendaient vraiment...
A être à la fois l'épisode 20 mais aussi un épisode anniversaire, "Die Another Day" avait presque obligation de faire la synthèse de tout ce qu'était la saga, tout en restant du pur James Bond.
Et pour moi c'est ce qu'il a su faire intelligemment.


Il a d'abord ce mérite de ne rien renier et de tout reprendre de ses dix-neuf prédécesseurs : de l'espion luttant contre les pays communistes au super héros croisant le fer avec des mégalomanes fantasques ; de l'agent flegmatique arpentant les bâtiments iconiques de la vieille Angleterre à l'homme d'action doté d'outils technologiques aussi délirants que ludiques ; du séducteur distingué au macho croqueur de femmes. Tout y est et parvient à faire corps.
Mieux encore, ça parvient à faire synthèse grâce à ce qui constitue le cœur de l'intrigue : l'effet miroir.


Car après tout, quel meilleur moyen de synthétiser tout James Bond en l'amenant à combattre un double de lui-même ? Un ennemi de l'ancien monde qui décide de s'adapter au monde nouveau par effet de mimétisme.
Moi, cette seule idée, je la trouve juste pertinente comme jamais.
Non seulement elle permet de tendre un reflet de lui-même au personnage de James Bond, l'obligeant à faire un droit d'inventaire, voire à déconstruire l'icône (ce qui prolonge l'effet amorcé par la déchéance survenue lors de l'introduction), mais en plus elle permet de poser cet épisode en épisode pivot, contraignant James Bond a se réinventer et à s'adapter au monde nouveau s'il veut survivre.
Encore une fois, à côté de cet épisode là, "Skyfall" n'invente rien. Mieux encore, à côté d'un "Skyfall" qui, à trop déconstruire finit par abimer et appauvrir l'icône, cet épisode parvient à le préserver dans son entièreté tout en respectant son identité.


Alors après on me rétorquera que tout ça n'annule en rien une réalisation parfois calamiteuse de Lee Tamahori et ce spectacularisme sans cesse boosté à grand coup de scènes d'action. Eh bah sur ce plan là aussi j'aurais tendance à dire que les détracteurs de ce film sont tout de même bien grincheux.
OK, il y a bien des défauts formels - ceux que j'évoquais en début de critique - mais il y a aussi tout le reste.

Il y a notamment cette galerie très riche de décors, tous très représentatifs de la saga, qu'il s'agisse des intérieurs victoriens, des vieux pays communistes ou bien encore des décors délirants prétextes à la moindre pyrotechnie.
Il y a aussi ce goût pour penser le monde de James Bond comme un théâtre fantastique dissimulé derrière le rideau du réel. Une petite porte de Tower Bridge ou un tunnel de métro abandonné peut soudainement cacher une base secrète du MI6.
Et puis enfin il y a ce retour au gadget utile dont on peut davantage voir la multifonctionnalité et l'utilité quotidienne au regard des précédents épisodes, comme c'est le cas par exemple de cette voiture invisible dont j'ai personnellement trouvé l'utilisation très réussie. (Et d'ailleurs, là encore j'ai du mal à comprendre ceux qui considèrent cet ustensile peu crédible. Mais qu'attendent exactement ces gens d'un James Bond ? Le personnage de Jaws et la base de Moonraker ça passe, mais pas une voiture invisible ?)


Et quand bien même ce film n'est certes pas exempt de fautes de goût, il a ce grand mérite d'être finalement un film d'action très efficace dans sa manière de varier ses scènes, de varier ses décors et surtout de varier ses enjeux.
Je suis même surpris qu'ils soient finalement si peu à au moins reconnaître la richesse, la densité et la variété de cet épisode au regard des autres représentants de la saga.


Alors après, je dis tout ça en faisant l'étonné et l'incrédule, mais dans les faits je ne reviens pas sur ce que je disais dès les premières lignes de ce billet : je comprends parfaitement qu'on puisse rejeter cet épisode pour les raisons précédemment évoquées.
Moi-même je suis typiquement le genre de gars qui peut t'envoyer tout un film au bûcher juste pour quelques erreurs formelles impardonnables, donc bon...
Néanmoins, que voulez-vous, le cœur a parfois ses raisons que la raison ignore...


Comme je l'ai dit plus haut, ce film je l'ai découvert dans un contexte particulier.
Il a su raviver l'intérêt d'une saga que j'estimais enterrée à un moment où j'étais encore enclin à m'émerveiller d'un James Bond. Et puis surtout, ce film, ça reste le souvenir d'une bonne sortie entre potes que chaque visionnage ravive forcément.


Je pense qu'on les a tous ces films bancals qu'on se décide à conspuer ou à excuser selon notre histoire et selon nos humeurs. Eh bien moi, "Die Another Day" c'est l'un de mes films bancals qui savent pencher du bon côté.
Alors peut-être que je risque de perdre pas mal de crédibilité auprès de certains en tenant pareille position. Peut-être qu'on dira que, sur ce coup-là, je suis quand-même bien peu exigeant.
Eh bah moi, face à ceux-là, je leur rétorquerai sûrement que dans cette histoire, c'est peut-être eux les grincheux de service...

lhomme-grenouille
7

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le 19 janv. 2018

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