Effet Barry Lyndon ou quoi ? Enigme. Ce film est une énigme dans le bon sens du terme. Il y a un effet lumière à la bougie, qui ne dure pas longtemps. Il y a un intérieur bourgeois, des costumes d’apparat, des perruques ahurissantes, le maquillage extravagant qui coule, et ça cause.
Médisance, racolage, ragots, des trucs très importants. Et parmi les convives, il y a un intrus assis à table. Un artiste, paysagiste, du nom de Neville. Il a la langue bien pendue, pour quelqu’un de son rang, de l’esprit, du talent. La femme du maître des lieux, madame Herbert, profite de l’absence de son mari pour proposer un contrat. En échange de douze dessins du domaine, il aura droit à une confortable somme d’argent, le gîte, le couvert, et le lit de madame, où il pourra disposer de son corps comme il lui plaira (?) Et oui. À partir de là, le film devient bougrement intéressant. J’accroche.
J’ai dit énigme, parce que rien n’est crédible, mais ça fonctionne tellement bien. Équilibre et perspective. Jeu de piste dans un jardin anglais. Chassé croisé entre monsieur-madame, joutes verbales, qui ressemblent à des rébus entre petits bourgeois. Et notre artiste parvenu, monsieur Neville, qui pose son chevalet, calcule la perspective, croque, dessine. Tout ça prend forme. C’est tout. Là où c’est génial, c’est qu’on sent qu’il ya un problème, mais lequel ?
La musique de Michael Nyman, nous transporte hors du temps. Précieuse, légère, baroque, moderne. Une musique faîte d’un équilibre presque scientifique, et de galanterie. Un bonheur. Et dans le film, il y a plusieurs films. Mélange des classes. Émancipation de la femme. Le pouvoir par le sexe. Le statut social revisité. Du comment de l’acquisition de la propriété. Film très complexe, malgré une désarmante simplicité, du cadre, et le calme campagnard, et les moutons dans le pré.
Il est question aussi de la grenade, fruit sanguinolent d’origine mythologique, et du goût de l’ananas, (rance).
Comment régler la question de la transmission du patrimoine, quand on n’a pas d’héritier direct, et régler une fois pour toutes la question de la guerre des sexes ? Voilà la réponse. Á voir.
Des plans, comme tracés au compas, toujours en perspective, éclairage « naturaliste », comme dans un tableau ancien. Et voilà une apparition ! Un homme statue, qui s’anime de temps en temps, et fait la pose, comme pour nous dire que tout est artifice, et que la vérité est ailleurs. Génial. Désarmant, surtout.
Monsieur Neville pense contrôler la situation, et baise madame dans tous les recoins. Il a la réplique, voire l’insulte facile, envers les autres membres de cette microsociété. La fille de Mme Herbert, Monsieur Talmann, tout le monde y passe. Monsieur Neville ressemble à un homme « moderne », mais il s’est trompé de siècle. C’est comme dans la fable. Celle de la grenouille qui voulait se faire aussi grosse qu’un bœuf. Elle a gonflée, gonflée, gonflée. Et PAF ! Soudain, il y a un meurtre.
Qui est tué ? Vous le saurez en regardant le film. Qui est le principal suspect ? Mr Neville, bien sûr. Il a consigné dans son carton à dessin, tous les coins, et recoins du domaine avec force détails. Comme le dit Mme Herbert :
« Mr Neville c’est un enfant. Un œil qui voit tout, retranscrit tout, sans jugement, sans aucune distance critique ». Naïf ou inconscient, il montre tout, même les choses les plus compromettantes. Et c’est ça qui le perdra. Le manipulateur, manipulé à son tour. Il croit tenir madame par la chatte, il se rendra compte de son erreur trop tard. C’est l’échec du talent, de l’arrivisme, et de l’esprit de conquête, face aux conventions, aux petites manœuvres, à la suprématie de classe. Rigide et immuable, la classe sociale. Une vraie leçon de vie en société, ce film. Leçon pour tous les nouveaux riches, qui auraient oubliés d’où ils étaient sortis. Moralité :
« Quand on pense qu’on est arrivé dans la vie, parce qu’on a signé un contrat, et qu’on comprend trop tard qu’un contrat, ce n’est qu’un papier. Le plus important, ce n’est pas le bout de papier, mais bien la table cachée en dessous.»
Qu’on se le dise.
Donc on a un thriller sans enquête, mais c’est encore meilleur. Et ça ne faiblit pas d’intensité. Le retour du bâton, se fait par un superbe coup de cinéma. Un mélange entre Agatha Christie et Sir Alfred Hitchcock. Avec des dialogues fleuris, aiguisés comme des lames, avec une narration qui nous entraîne de façon machiavélique. Tout se dit, et tout se dérobe en même temps. Superbe réflexion sur le montré-caché. Exigeant par moments, mais le jeu, en vaut la chandelle. Greenaway nous parle d’une société lointaine en apparence, mais étonnamment familière. Normal, c’est la nôtre. Il n’y a pas plus moderne comme propos. C’est du lourd. Le pouvoir, la propriété, la valeur juridique du contrat, à la dette. Du lourd.
Et le final qui sonne comme le glas. Le retour à la normale. On se débarrasse du contrat gênant. On brûle les dessins compromettants. Quand à monsieur Neville…