Pour qui ne se fierait qu’à la seule consécration de « Dheepan » pourrait penser que la sélection du Festival de Cannes 2015 devait être bien pauvre… Mais en fait, la délibération a du se passer un peu comme cette scène finale de « Indiana Jones et la dernière croisade » où Indi et son père devait trouver le fameux Graal parmi un ensemble de coupes toutes aussi disparates les unes que les autres. Quel film retenir pour la Sainte Palme d’Or ? Mais nous ne sommes pas au cinéma. Il devait manquer dans ce jury un Professeur Jones à la perspicacité avérée, et les frères Coen se sont laissés berner à ne choisir, pour attribuer la récompense suprême, que le rutilant démagogique, le film kleenex (on prend, on pleure, on jette), bref le film bien dans l’air du temps qui ne laissera trace ni dans le cœur des cinéphiles, ni dans la filmo d’Audiard.


Il y avait un film qui répondait à toutes les attentes (public, presse, professionnels, compte-tenu du concert de louanges actuel), qu’elles soient sélectives ou plus consensuelles. Un film qui est, et je pèse mes mots, un aboutissement cinématographique complet, et se place derechef parmi les grandes œuvres inoubliables. Un film, qui transcende, le seul cadre du divertissement ou de la réflexion d’auteur. Un film qui bouleverse autant qu’il vous porte intellectuellement et intimement. Un film. « MIA MADRE » !


En transposant son propre vécu du deuil maternel, sur une femme, réalisatrice, Moretti s’impose une distance de fait, et élimine toutes les scories entre pathos et larmes qui auraient pu dénaturer son projet, ne gardant que l’essentiel, et par là même, une visée universelle (déjà perçue d’ailleurs dans « La chambre du fils »). Bien sur, on y retrouve beaucoup de sa douleur, de brefs plans fugaces et très particuliers, évoquent sans doute sa propre histoire (les lunettes sur une table de nuit d’hôpital, les coudières, un sourire de circonstance, le tournage « pollué »…), mais Moretti la transcende, il ne souhaite pas partager sa peine, au contraire, il tient à partager la souffrance de ceux qui, comme lui, ont subi pareil drame.


Pour autant, et c’est là que « Mia Madre » est extraordinaire, l’émotion qui vous étreint, ne repose aucunement sur la tristesse, bien au contraire ! Le film est une ode à la vie, et à ce courage qui tenaille corps et esprit en pareil circonstance, que ce soit la personne qui s’éteint mais lutte jusqu’au bout comme pour les proches dont la vie, entrecoupée des épisodes hôpital, inquiétude, abattement…, se doit de continuer. Margherita en sait quelque chose. Comment se consacrer au tournage de son film, gérer sa vie sentimentale, s’occuper de sa fille et les diverses contrariétés qui ont tendance à s’accumuler en pareil moment, alors qu’elle est à tous instants près de sa mère physiquement ou en esprit ? Le scénario est édifiant, Moretti de son expérience et avec l’intelligence de son écriture dresse un véritable un paradigme sur le sujet. Sa mise en scène est tout à l’avenant, privilégiant les plans rapprochés rendus très complexes par l’intimité du montage, il alterne les instants de « recueillements » avec les scènes plus hystériques, qui ne sont en fait que le l’expression de l’état d’esprit du moment de Margherita. Ainsi, l’acteur Huggins (Turturro excellent), dans son besoin d’être constamment rassuré, ne peut être que très mauvais, ne se sentant pas désiré. Ou encore, le frère (Moretti scotchant !), accablé et si « présent », ne devra compter que sur lui pour surmonter l’épreuve. Margherita, seule semble souffrir du deuil qui se prépare, c’est ce ressenti égoïste et tellement humain qui parcourt le film.


La clé de voute de « Mia Madre » est bel et bien ce personnage de Margherita, reflet de Moretti mais pas que, elle est de tous les plans, déchirée, battante, vindicative, irradiante, désarmante. Cette femme, dont on sent le parcours affranchi de tout obstacle, traverse une épreuve, dont on ne se remet jamais tout à fait, qui fait que l’édifice pourtant solide se révèle tout en failles. La reconstruction n’en sera que plus belle, plus juste. Elle devra faire table rase du passé, et penser à demain ! C’est un des plus beaux personnages de cinéma qui se démène sous nos yeux, dans la grande tradition du cinéma italien et Margherita Buy lui donne toute son amplitude, toute sa sensibilité. Elle est sans aucun doute, l’une des meilleures actrices du monde, trop rare pourtant. L’année passée, elle m’avait ému aux larmes avec « Je voyage seule », là elle se pose en digne héritière des Loren, Magnani, Cardinale… Epoustouflante et magnifique !


« Mia Madre » dépasse le seul cadre du cinéma, le film est une empreinte de vie, une manière de faire son deuil définitivement, pour Moretti mais aussi pour celles et ceux, dans le public, qui ont traversé ce moment cruel. Cette foi en l’existence qui jaillit à chaque image, qui culmine en ce final merveilleux, est salvatrice et généreuse, Le film de Moretti est un chef d’œuvre d’humanité, et disons-le, un chef d’œuvre tout court !

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le 3 déc. 2015

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Fritz Langueur

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