J’ai une espèce de fascination pour le phénomènes des marées et j’ai toujours aimé ce moment magique où la mer est au loin et où on découvre tout ce qu’elle recouvrait quelques heures plus tôt, laissant les bateaux inutiles et échoués, empêtrés dans les algues.
Ce mouvement de la mer, c’est un peu ce qui se passe aussi quand un être disparait: non seulement on ne le voit plus mais en prime on découvre petit à petit toutes les choses qui partent avec lui, tout ce qu’il englobait et qu’on ne parvenait pas à saisir.
Dans Mia Madre, Nanni Moretti fait le deuil de sa mère en racontant le lent travail d’avant deuil, la perte programmée de l’être.
On y suit Margherita, qui est sur tous les fronts: une réalisatrice exigeante et un peu perdue dans un film qu’elle n’arrive pas à finir, en prises avec un acteur capricieux et fanfaron, une amoureuse qui met en pause sa vie sentimentale, une mère qui peine à motiver sa fille, et surtout une fille qui peine de voir sa mère mourir.
Si le film met un petit peu de temps à se poser, c’est parce qu’il emploie des moyens détournés: on débute loin du sujet, au milieu du tournage d’un film, et on tarde à voir le rôle-titre.
Et même une fois qu’on la rencontre, l’empathie n’est pas immédiate, on a bien du mal à s’accrocher.
Et puis sans y prêter attention, on en vient à se familiariser avec ces différentes parties du film, à apprécier les incursions exagérées de John Tuturro qui viennent éclairer un peu la triste réalité de la vieillesse.
Une fois qu’on entre dans le film, on n’en sort plus, et certains passages deviennent presque insoutenable pour peu qu’on ait déjà eu à accompagner une personne en fin de vie tant ils sentent le vécu.
Nanni Moretti touche juste, et ça fait mal à la fois de se souvenir de moments intenses, et aussi de penser à ceux qui nous attendent immanquablement. Sur certaines scènes le film rappelle “the descendants” dont un passage à l’hôpital m’avait semblé particulièrement juste.
Margherita est nous, et la voir avec son frère, perdus face à un phénomène contre lequel ils ne peuvent rien et pour lequel il n’existe pas de préparation nous conforte dans l’idée que nous sommes tous semblables: impuissants face à la douleur.
La narration est parfois un peu aléatoire, entre rêve, réalité et flashback, on a eu peu de mal à se situer parfois, mais c’est pour mieux évoquer l’état de la réalisatrice qui est en train de perdre pieds en perdant Le repère d’une vie.
Un film centré sur la relation mère/fille mais pas seulement puisque plusieurs éléments disséminés dans le film viennent élargir un peu le sujet, histoire de bien souligner le fait que Margherita a peut-être beaucoup de choses à gérer en même temps, mais c’est le lot de tous: la vie continue malgré les drames.
De l’infirmière qui a des problèmes avec son fils à l’acteur qui révèle au cours d’un repas sa faiblesse (il est monté en flèche dans mon estime en une phrase ce personnage) en passant par le frère qui lâche son boulot, on sent chez tous les personnages une vie plus broussailleuse que leur rôle dans l’histoire de Margherita.
Un bon moyen de relativiser, de se rappeler que c’est notre nature d’encaisser les pertes et de se relever, même si ça fait mal, même si au fond on n’oublie jamais la souffrance.
Moretti touche droit au cœur, et certains plans tout bêtes comme des cartons amassés dans un couloir ont un pouvoir lacrymal assez redoutable, à l’image de tout le film.
A fuir si vous voulez sourire, à voir si vous souhaitez vous rappeler qu’il faut profiter des gens pendant qu’ils sont là.