Arnaud des Pallières a rêvé son film pendant des années. 25 ans pour se sentir prêt, capable et volontaire ; 25 ans pour le mettre enfin en œuvre, en larges images déployées sur grand écran. Adapté d’une nouvelle d’Heinrich von Kleist écrite en 1810, Michael Kohlhaas narre l’histoire d’un marchand de chevaux victime de l’injustice d’un seigneur local et décidé à rétablir son droit, quitte à perdre plus que ce qu’il peut y gagner. Dans la figure butée, rebelle, de cet homme ivre de justice et d’équité, von Kleist (et des Pallières aujourd’hui) parle d’un engagement humain (puis plus général quand Kohlhaas rallie à sa cause d’autres paysans insurgés prêts à se battre contre une monarchie abusive) qui tourne à la vendetta personnelle, à la loi du talion.

Kohlhaas abreuve, dans ses désirs fous d’intégrité, un flot continu de sang et de mort. Quand il dit à sa fille qu’il ne fait cela pour ses chevaux (qui ont été maltraités), pour son homme de confiance (mutilé par des chiens) ou pour sa femme (tuée dans des circonstances qui ne seront jamais exprimées), on comprend que Kohlhaas s’est égaré dans ses propres combats, aveuglé en entier par sa croisade dérisoire, répétant sans cesse qu’il veut simplement qu’on lui redonne ses chevaux lavés, soignés et en bonne santé, comme un prétexte à une révolte plus personnelle, plus considérable. Des Pallières, à l’image des paysages rugueux des Cévennes et du Vercors, filme cet homme entier (et même dans ses entêtements) comme un bloc inhospitalier, rêche, sculpté par les tourments de la nature.

Une présence massive, minérale, que Mads Mikkelsen, majestueux comme un roi, offre, incarne sans relâche jusque dans ce regard final affolé, dépassé soudain par les conséquences, par l'absurdité de ses actes (et leur funeste vérité). Des Pallières lui, en revanche, ne tient pas le pari d’une première heure belle et âpre (violence sèche, reconstitution dépouillée, angoisse latente) aux allures de western crépusculaire qui, par la suite, s’étiole par trop de longueurs, par manque de dramaturgie tenue. L’ascèse revendiquée, affichée avec brio, devient démonstrative, appuyée, voire académique (preuve en est cette scène avec Denis Lavant qui vient expliciter ce qui était de l’ordre du non-dit, de ce que l’on avait fini par envisager nous-même), des Pallières ne sachant plus en arracher autre chose qu’une mise en scène figée, vidée d’une force presque tellurique.

Dès lors, l’intérêt qu’il avait su imposer à nous (et davantage si l’on avait su s’exalter pour Valhalla rising auquel Michael Kohlhaas emprunte parfois la même rudesse, du moins le même acteur) se morcelle dans une deuxième heure débarrassée de l’émotion brute qui sourdait avant. Le film, magnifié par la photographie de Jeanne Lapoirie (qui travailla pour Ozon et Téchiné), est plus sauvage, plus puissant quand il fuit les dialogues, quand il est fait de peu de mots, de quelques phrases, de silences, du bruit du vent ou des chevaux (leurs hennissements, leurs sabots contre la pierre et la terre, leur souffle lourd aussi). Pour sa part d’audace et de radicalité, si rare dans un cinéma français exsangue, Michael Kohlhaas mérite les honneurs que ses défauts, évidents pourtant, ne peuvent abolir complètement.
mymp
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le 16 août 2013

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