S’il porte certes sur Michel-Ange, sa vie et son œuvre, Il Pecato investit surtout la figure du pécheur dans une Italie chrétienne pour interroger la sacralité de l’art ainsi que la justesse du geste de l’artiste qui, en représentant des scènes tirées de la Bible, tend à détourner le fidèle de sa méditation pour l’engager dans une contemplation profane.
Avec ce film, Andreï Kontchalovski pose plusieurs questions, reliées entre elles par une dialectique certaine entre le sacré et le profane : le péché peut-il créer de la sacralité ? toute représentation du sacré ne dégrade-t-elle pas ce dernier en fantasme né de l’imagination d’un homme à destination des autres, sans élévation aucune ? Le personnage de Michel-Ange apparaît comme un être tourmenté, incontrôlable : il ne tient pas en place parce qu’il louvoie entre deux rives qui ne sauraient se voir franchies toutes les deux et qui se repoussent l’une l’autre. Il a conscience que l’inspiration divine qui le force à créer s’apparente à de l’orgueil, qu’il entreprend des œuvres qui atteignent moins Dieu qu’elles ne dépassent davantage la mortalité de la condition humaine, tel un affront fait à ce même Dieu.
L’art, pour Kontchalovski, réside dans la tension entre une démarche personnelle et l’allégeance à une puissance supérieure : religieuse, politique. Nul hasard, par conséquent, si le contexte historique, marqué par la rivalité entre deux grandes familles italiennes, occupe une place de choix et engage l’artiste dans une série de contrats qui jamais n’aboutissent. Le cinéaste semble se reconnaître en Michel-Ange et relier la Renaissance à la Russie contemporaine, construisant une passerelle évidente lors de sa clausule qui bascule de la reconstitution à la sculpture visible aujourd’hui dans les musées. En outre, l’intelligence du film est d’interroger la sacralité de l’art dans un contexte culturel marqué par la réforme protestante dont l’une des revendications consistait à rejeter les icônes en raison d’un potentiel de séduction en opposition à la prière.
Nous saluerons enfin l’incarnation de la figure de l’artiste qui échappe en partie au parcours linéaire biographique pour devenir un corps meurtri par le temps et par son propre génie, un corps en prise avec d’autres corps, notamment ce bloc de marbre brut qu’il faut transporter et qui symbole à l’écran l’ambition démesurée de Michel-Ange tout autant que son orgueil, péché qui l’entraîne avec lui dans sa chute. Un immense long métrage, interprété à la perfection et magnifiquement photographié.