Duplicity lights
Il faut un certain temps pour mettre le doigt sur l’emprise générée par Midnight Special. Parce qu’il est accidenté, parce qu’il n’est pas exempt de défauts, le trajet qu’il propose nous embarque...
le 17 mars 2016
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Il y a les hommages ratés qui oublient ce qui faisait la spécificité de sa/ses sources d'inspirations. Comme "Jurassic World" qui a oublié ou n'a pas su recréer l'émerveillement de "Jurassic Park" et tente de palier ses manques par un discours faussement méta sur la logique du "toujours plus" des super-productions hollywoodienne.
Il y a les hommages ratés car ils se posent tellement en hommage qu'on ne voit que l'hommage et pas le film en lui-même comme "Super 8".
Et il y a les hommages réussis comme "Midnight Special". Réussi car il a su reprendre les fondamentaux de ses sources d'inspiration tout en ayant une identité propre.
Il est en effet difficile de ne pas faire le parallèle entre "Midnight Special" et les films de Spielberg comme "E.T.", "Rencontre du 3è type", "La Guerre des mondes" ou même "Jurassic Park". Nichols inscrit son film dans la droite lignée de ceux-là. Un film fantastique, teinté de SF (et non pas l'inverse) qui mise sur son ambiance. Un film qui met la cellule familiale au cœur des enjeux et joue sur l'émerveillement et le frisson du spectateur.
L'explicationite aiguë, le mal de la décennie ?
"Midnight Special" refuse l'explication systématique. Il mise sur le mystère, sur le surnaturel, sur l'inexplicable. Face à l'explicationite aiguë qui semble toucher la majorité des productions actuelles cela détonne. On peut penser à Nolan mais aussi à Marvel et à la tendance générale aux préquels qui semblent vouloir justifier toujours plus les origines des héros ou des évènements alors que fondamentalement on sait quand même que l'adamantium ça n'existe pas. On était prêt à l'admettre comme postulat de base mais on n'avait pas forcément besoin de savoir le pourquoi du comment pour adhérer au personnage de Wolverine dans les épisodes d'X-men précédents.
Cette absence d'explication semble provoquer une frustration chez certains spectateurs. Pourtant, si on revient aux inspirations de ce film, toute la première partie de "Jurassic Park", toute la découverte du Parc et des brontosaures (ou brachiosaures je ne sais plus), basée sur l'émerveillement des héros et des spectateurs se déroulent avant l'explication. Après il n'est plus possible. De la même manière Spielberg explique-t-il pourquoi ou comment E.T. peut faire léviter des objets, être connecté avec Eliott ou ressusciter ? Non. On ne sait pas pourquoi ils sont venus sur Terre à la base, ni comment les humains les ont repérés. On ne sait même pas qui sont ses humains qui les pourchassent au départ. Cette volonté de non-explication est donc parfaitement logique dans la démarche de Nichols. Au final est-ce important de savoir quand a été créé Le Ranch, ce qu'ils y font exactement, comment ou pourquoi le gamin est
connecté avec le monde parallèle
, etc. ? En dehors de la satisfaction facile d'obtenir une réponse sans effort livrée en 24h chrono 7/7, qu'est-ce que ça aurait pu apporter au film ? Est-ce que laisser ces questions ouvertes n'est pas finalement un meilleur choix ? Car Nichols veut faire coexister le merveilleux et le réel pas nous faire une thèse faussement scientifique sur l'origine des héros et des super-pouvoirs d'Alton. Le merveilleux n'admet pas d'explications. Le merveilleux c'est par définition l'inexplicable. Dès lors qu'on explique les choses, même sur des questions pas directement liées au phénomène fantastique, le spectateur entre dans une forme de logique et oublie en partie qu'il est face à l'incompréhensible. Dans le même ordre d'idée, si Nichols ne répond pas aux questions du spectateur, c'est aussi pour le mettre dans le même état de trouble, d'interrogations, de quête de sens que ses héros. Ils sont dépassés, nous devons l'être aussi. L'omniscience du spectateur lui permet d'avoir un avantage sur les héros. Lui sait ce qu'il se passe en-dehors de la cellule familiale. Lui sait ce que font les antagonistes. Les héros non. Dès lors il faut rétablir l'équilibre. Les héros connaîtront leur passé et certains détails, le spectateur non.
Le but d'un film fantastique est de faire douter de la réalité qu'on nous présente pas de la faire admettre sous le couvert d'explications logiques et/ou scientifiques. On peut même aller plus loin et avoir une lecture à un niveau supérieur. Est-ce que ce qu'on nous raconte doit être interprété comme une histoire "vraie" dans la réalité du film ou est-ce le récit mental du héros, sa manière d'exprimer ses psychoses ? Ce film se situe donc dans la droite lignée de "Take Shelter" dans la filmographie de Nichols.
Chasse à l'homme
Tout comme E.T. puis E.T., Eliott et les gamins du quartier, ou comme les petits-enfants de Hammond et les autres héros de "Jurassic Park", la tension de l'histoire naît de sa nature même. Une chasse à l'homme. C'est le danger qui vous poursuit qui entraine la fuite en avant systématique, qui crée l'action. Le but est mystérieux ? Oui mais est-ce cela qui motive l'action. S'il y a un but sans danger derrière c'est juste un road-trip familiale. "Little Miss Sunshine" version fantastique. S'il y a but et danger derrière alors c'est peut être redondant. On n'a pas vraiment besoin de savoir où ils vont ni pourquoi ils y vont. Juste éventuellement besoin de savoir qu'ils y vont. Si on prend "Duel" (Spielberg toujours) c'est juste un mec qui se fait poursuivre par un camionneur psychopathe sans qu'on ne sache rien ni du héros ni du psychopathe, ni même les motivations du psychopathe. Pour reprendre le titre judicieux de doc, "La Balade sauvage" c'est juste deux gosses dérangés qui tentent d'échapper aux flics. "Bonnie and Clyde" c'est à peu près pareil. On n'a pas besoin de connaître leurs histoires personnelles avant leur rencontre ni qu'ils aient un but pour comprendre à quel(s) danger(s) ils tentent d'échapper. La tension naît du danger qui est derrière pas de ce qui sera devant. Les motivations de chaque personnage sont claires. Le Ranch veut récupérer son "prophète", la CIA/NSA veut récupérer l'enfant pour le danger qu'il représente et pour l'étudier voire l'utiliser. Anton et sa famille tentent de leur échapper.
De la paternité
Mais toute cette couche fantastique, toute cette chasse à l'homme, ce n'est qu'un prétexte comme souvent. Et le film possède un vrai sous-texte. Ce n'est peut être pas révolutionnaire comme propos mais ça a le mérite d'être juste. Ce qui obsède Nichols c'est la nature des liens familiaux et notamment de la paternité. C'est ce lien qui dès lors qu'il existe devient le moteur de nos vies. Ce sont les espoirs et les craintes nées de ce lien qui infléchiront la majorité des décisions de l'homme devenu père. Le film s'intéresse clairement plus à ces craintes, des inquiétudes que cela présuppose vis à vis du monde extérieur, de la légère paranoïa inhérente à ce statut de père. Que ce soit vis à vis des institutions religieuses symbolisées par Le Ranch et du fanatisme (recrudescence du catholicisme fondamentaliste aux USA + terrorisme), des institutions policières FBI + NSA (on peut penser au scandale des écoutes, au flicage constant lié à Internet et au smartphone, etc.), des risques sanitaires liés aux technologies (Alton capte les ondes radio omniprésentes et fait des crises), etc. Mais être père ce n'est pas que avoir peur pour lui, c'est aussi ce qu'on est prêt à faire pour lui, c'est l'accepter tel qu'il est malgré ses différences, c'est avoir foi en lui (la croyance dans les pouvoirs d'Alton et l'acceptation de ses décisions : c'est lui qui a fixé la date et le lieu du rendez-vous, c'est lui qui décide quand revenir à la lumière du soleil, etc.), c'est prendre tout ce qu'il peut nous apporter, nous offrir, c'est savoir partager son fardeau, c'est aussi savoir le laisser partir. Alors oui tout ça, comme je le disais précédemment, ce n'est pas révolutionnaire, mais le traitement du film est juste et la relation père-fils fonctionne. De même que la relation mère-fils. L'émotion est pour moi présente. On a peur pour eux, on est triste pour eux, on a mal pour eux, on est heureux pour eux. L'une des scènes finales où on voit Sarah (Kirsten Dunst) couper sa tresse est juste magnifique. C'est un symbole parfait de la mère qui coupe le cordon et de ce sentiment à la fois nostalgique de la relation fusionnelle mère-enfant perdue et du sentiment du devoir accompli, d'avoir accompagné son fils jusqu'à sa réalisation et son bonheur.
La grande force de "Midnight Special" est donc d'avoir su élaguer. Nichols garde l'essentiel. L'atmosphère fantastique, le frisson de l'aventure et de la chasse à l'homme, le propos en sous-texte. Et tous les éléments du films ne servent qu'à ça. Ainsi Le Ranch, le gouvernement, etc. n'existent que pour leurs symboliques et pour être créateurs de tension. Les évènements montrés ne servent qu'à faire rebondir l'action ou informer le spectateur. Toutes les questions non résolues qui les entourent ne servent qu'à renforcer le mystère et le côté fantastique. Il n'a jamais été question de faire un film sur les dangers du fanatisme religieux, de la technologie ou des systèmes de surveillance liberticides donc ces aspects n'ont pas à être développés. C'est un film sur la paternité et les craintes qu'elle génère. C'est une fuite en avant pas un but à atteindre.
"Midnight Special" est un "E.T." modernisé et plus sombre. Un film qui mélange savamment l'aventure et le drame, la SF et le fantastique. Un film qui n'a pas eu besoin de tonnes de CGI pour me faire rêver.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Vus en 2016, Les meilleurs films de 2016 et Ils n'ont pas leur Top sur SC et on se demande bien pourquoi : Jeff Nichols
Créée
le 29 mars 2016
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