Duplicity lights
Il faut un certain temps pour mettre le doigt sur l’emprise générée par Midnight Special. Parce qu’il est accidenté, parce qu’il n’est pas exempt de défauts, le trajet qu’il propose nous embarque...
le 17 mars 2016
156 j'aime
35
Elle est facile cette blague hein ? Pourtant, c’est ce que représente pour moi -et je ne pense pas être la seule- le nouveau film de Jeff Nichols.
Il faut dire qu’avec "Mud", sa précédente réalisation, le jeune réalisateur avait placé la barre très haute. On y percevait une personnalité, une vision unique et originale du Mississipi, idéale pour mettre en valeur la beauté de ces terres presque vidées de toute civilisation. On y percevait aussi une façon de filmer l’enfance magnifique, mettant en valeur l’innocence et le courage de deux jeunes garçons, plus courageux que les adultes, et pourtant si facilement blessée par l’abus de confiance. Finalement, plus que le héros qui prête son nom au film, c’était eux qui portaient l’œuvre sur leurs petites épaules pas si fragiles que ça.
Difficile de ne pas faire le rapprochement avec le fameux "Midnight Special", où l’on suivra la fuite d’un enfant possédant des dons particuliers, fuite qui se passera quatre-vingt-dix pourcent du temps dans des grands espaces américains, hors des masses grouillantes de la ville. Ici s’arrête le rapprochement. "Mud" était un film indépendant, "Midnight Special" est un film de studio, le premier du réalisateur. Cependant, il ne faut pas être trop dur avec la Warner. Pour un premier essai, Jeff Nichols peut être fier d’avoir su garder un minimum de liberté, de conserver les thèmes chers à son cœur tout en s’adaptant à son cahier des charges. Finis les drames intimistes, place à la grosse machine : poursuite par des agents fédéraux, extra-terrestres, explosions de lumière, etc.
C’est en effet à un genre inédit auquel s’attaque le jeune surdoué : la science-fiction. Notre protagoniste principal, Alton, dispose de mystérieux pouvoirs surnaturels faisant de lui la cible du gouvernement. Ses pouvoirs sont mystérieux, inquiétants car potentiellement destructeurs. On ne parle pas ici d’un Transformers-like, mais d’un bon vieux film fantastique à la Spielberg. Comme le père d’E.T, Nichols, en faisant de son héros un jeune garçon incompris et solitaire, propose une œuvre pouvant plaire à plusieurs générations. Plus que le surnaturel, ce sont les relations parents-enfants qui sont au cœur du récit puisque le jeune Alton est accompagné par son père Roy (excellent Michael Shannon). L’idée est intéressante, cela donne lieu à des scènes quelque fois touchantes, mais reste malheureusement toujours plutôt superficielle. "Midnight Special" propose trop peu de moments de grâce entre le père et son fils (tout comme entre la mère et son fils d’ailleurs). En tout cas, trop peu pour vraiment s’attacher à eux.
C’est d’ailleurs le principal reproche que j’adresse au film. Jamais "Midnight Special" ne transcende son sujet, ne donne l’impression au spectateur de faire partie de l’histoire. La barrière est présente tout du long du film. Ainsi, nous sommes parachutés en plein milieu de l’action dès que le film commence. Une chambre de motel, les informations diffusant le portrait du père kidnappeur, la fuite méthodique des deux hommes emportant le précieux enfant. La fuite. Toujours la fuite. Pas d’explication, pas de présentation succincte des personnages pour aider à les comprendre. Pas le temps, il faut fuir. Si le procédé peut être jugé cohérent avec l’intrigue, j’ai pour ma part trouvé qu’il nuisait à son bon fonctionnement. Si l’on ne connaît pas un minimum les motivations des personnages, qu’on ne voit même pas ce que leur a coûté de faire évader Alton, comment peut-on une seconde ressentir de l’empathie ?
Les choses ne s’arrangent pas vraiment par la suite... Il y a les interrogatoires dispensables menés par un Adam Driver au top de sa forme, qui n’apportent pas grand-chose au film. Il y a également les apparitions clin d’œil de Sam Shepard, dont le personnage aurait mérité tellement plus d’attention, étant donné que toute l’histoire l’entourant aurait pu être passionnante. Il y a des pistes lancées avec le personnage de Joel Edgerton, mais jamais vraiment clarifiées. Il y a aussi l’arrivée de la mère, inutile au développement de l’enfant.
Vraiment, lorsque l’écran s’éteint sur les derniers noms du générique, on a l’impression d’avoir vu une histoire incomplète. On a la fuite centrale et la résolution de l’affaire mais pas son commencement. On a un film qui semble incomplet, qui a voulu sauter des étapes en ce qui concerne la présentation de ses personnages et de son intrigue.
Et c’est d’autant plus frustrant que "Midnight Special" a toutes les qualités techniques qu’on attend d’un film de Jeff Nichols : acteurs tout en nuances et subtilité, gestion de la lumière magnifique, musiques de David Wingo qui collent parfaitement à l’ambiance, mouvements de caméra précis et réfléchis... Mais à quoi bon tout ça si l’intrigue ne suit pas ?
Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes 2016 annoté et Les meilleurs films de 2016
Créée
le 18 sept. 2016
Critique lue 606 fois
8 j'aime
2 commentaires
D'autres avis sur Midnight Special
Il faut un certain temps pour mettre le doigt sur l’emprise générée par Midnight Special. Parce qu’il est accidenté, parce qu’il n’est pas exempt de défauts, le trajet qu’il propose nous embarque...
le 17 mars 2016
156 j'aime
35
C'est un critique malheureux qui prend la plume. Malheureux parce que l'orgasme filmique amorcé ne s'est pas produit. Malheureux parce que la promesse de caresser une époque révolue (celle des prods...
le 16 mars 2016
147 j'aime
87
Midnight Special commence dans le noir. Dans une voiture qui roule de nuit tous phares éteints. Avec, sur la banquette arrière, un enfant qui lit des vieux Action Comics à travers une drôle de paire...
le 23 mars 2016
63 j'aime
14
Du même critique
Comment faire une critique de la violence au cinéma ? La solution proposée par « Orange mécanique » ? Faire un des films les plus violents de l’époque, tellement violent que l’on prend le risque de...
Par
le 2 sept. 2014
37 j'aime
13
Steven Spielberg aime la science-fiction. Ce n’est un secret pour personne. Bien avant les robots d’A.I, les dinosaures de Jurassic Park et surtout, cinq ans avant le petit E.T l’extraterrestre, le...
Par
le 11 juin 2014
31 j'aime
5
Un film qui a raflé tout un tas de récompenses (dix exactement). « La leçon de piano » raconte la destinée d’une femme muette liée contre sa volonté à un homme qu’elle ne connaît pas. Peu à peu,...
Par
le 12 juin 2014
26 j'aime
3