Duplicity lights
Il faut un certain temps pour mettre le doigt sur l’emprise générée par Midnight Special. Parce qu’il est accidenté, parce qu’il n’est pas exempt de défauts, le trajet qu’il propose nous embarque...
le 17 mars 2016
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De Jeff Nichols, le boss indé du cinéma américain, qui nous avait tant marqué avec son parfaitement ambigu et superbe Take Shelter, emballé avec son fin et émouvant Mud, on pouvait tout attendre.
Mais peut être pas un film décevant.
Et pourtant c'est bien là le triste constat sur lequel nous nous devons de revenir.
Midnight Special est décevant, et n'est en rien le chef d'oeuvre que les critiques annoncent, la perle rare, le renouveau de la science-fiction. Certes le film est honnête, mature, moderne, brillant par moment (la sublime ouverture, digne des meilleurs road-trip).
Midnight Special est un pari osé, surtout pour le premier film de studio d'un réalisateur indépendant, qui reste ici (et heureusement) fidèle au style qu'il nous avait dés lors habitué à voir, à ses thèmes de prédilections : tout n'est encore ici qu'histoire de famille, de marginalité, d'Amérique profonde, de suspicion de folie.
Mais en trois films (dont un que je n'ai pas vu), Jeff Nichols semble avoir tout dit à ce/ces sujet(s). Et il semble d'ailleurs s'en rendre compte. C'est pourquoi le film n'entre jamais vraiment dans son sujet, reste flou, ne dit pas grand chose, et prend le pari osé de ne rien expliquer.
Cela pose problème ; car le spectateur est lancé directement à toute vitesse dans ce road-trip dont Nichols s'évertue à garder dans son obscurité, celle superbe d'une nuit noire qu'il filme avec talent mais aussi celle, plus problématique, d'un scénario qui peine (et d'ailleurs ne parvient pas) à rendre l'ensemble crédible. Il y a certes ce postulat de base dans un film de science fiction (dont Spielberg s'est fait le plus grand représentant) qui doit être accepté par le spectateur, en dépit d'une rationalité qui l'encombre très souvent. Cela marchait bien avec E.T. : on accueillait cet alien laid mais sympa avec gentillesse.
Mais là quelque chose ne prend pas ; peut être à cause du trop sérieux enjeux qui semble se détacher de l'intrigue et qui voudrait rendre l'ensemble sombre, pas assez décontracté. Ainsi l'intrigue nous semble vite improbable, peu crédible, et tout ce qui l'entoure très flou (Qui sont ces gens ? Pourquoi leur fils est ainsi ? Qu'est ce que c'est que cette secte dont il s'échappe ? Pourquoi la police les recherche, au juste ?).
La course-poursuite semble vaine, le voyage sur la route anodin et sans puissance.
J'exagère un peu, car il se dégage, comme toujours dans les films de Nichols, de vraies ambiances, planantes, belles et douces, au plus près de la nature (aurore sur un champ de blé dans un coin de campagne perdu), que souligne la superbe B.O. de David Wingo, qui nous avait déjà enchanté et tant fait pleurer dans Take Shelter et qui là encore réalise un tour de force en accompagnant avec douceur la caméra maîtrisée du réalisateur, à l'aide de thèmes d'ores et déjà reconnaissables.
Mais il y a un problème, à mon sens majeur pour un film de Jeff Nichols, qui dépasse toute l’invraisemblance de l'intrigue ; c'est la fadeur des personnages.
Car dans les films du réalisateur ce sont bien eux qui priment. Et les castings brillants qu'il obtient à chaque fois font des étincelles.
Excepté ici. Car si l'enfant est impressionnant de justesse et de maturité, son rôle nous est si flou et son ton de voix sûr et posé si insupportable que vite l'idée qu'il rejoigne son monde devient pressante. La mère, interprétée sans grande conviction par Kristen Dunst, que nous n'avions pas vu depuis longtemps au cinéma, semble personnage inutile, à la placidité déconcertante, comme si tout allait de soi ou qu'au fond, on s'en foutait un peu. Sevier, le policier que l'on a tenté de rendre original mais qui au fond ressemble à tous ces personnages de policiers un peu plus humains que leur collègue qui pactisent vite avec l'ennemi et se font clown de service, n'est pas sauvé par l'interprétation d'un Adam Driver dont je ne trouve décidément pas le talent et dont je ne comprends pas que l'on s'arrache, ne voyant dans sa prestation qu'une maladresse adolescente. Mais enfin le pire c'est tout de même le personnage de papa que Michael Shannon interprète, avec conviction pour le coup, comme toujours, à qui l'on réserve un sort frustrant. Celui-ci, bénéficiant d'un superbe acteur pour l'incarner, aurait pu se faire véritable héros de ce film qui en manque un peu, véritable source d'émotion de ce film qui en manque un peu. Or il n'est pas assez exploité ; et la scène décisive, finale presque, lui passe sous le nez et est confiée à l'insipide Kristen Dunst.
C'est dommage, vraiment, car au final le seul personnage que l'on retient de ce Midnight Special, c'est celui qu'interprète avec courage Joel Edgerton, vraie source émotionnelle du film, lui que l'on cantonne à se sacrifier pour une famille dont il désirerait au plus profond faire partie mais dont il n'est que le spectateur de l'amour.
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Créée
le 17 avr. 2016
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