Le sacre de l'été
Le plus immédiatement troublant devant Midsommar, c'est sans doute – comme à peu près tout le monde l'aura relevé – de se retrouver face à une œuvre horrifique toute faite d'été, de ciel bleu, de...
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le 3 août 2019
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C'est un délicieux voyage en Enfer que nous propose Ari Aster pour son deuxième long-métrage. Déjà reconnu pour sa connaissance du monde cinématographique et de ces techniques, il revient ainsi pour frapper d'un vent rafraichissant le cinéma d'horreur en 2019.
C'est un Enfer, au gout de paradis que nous présente le réalisateur américain. En effet, dès les premières minutes du film, l'horreur s'installe, indicible, saisissante. Dani, jeune étudiante en anthropologie reçoit un étrange et inquiétant message d'adieu de la part de sa soeur. S'en suit une panique oppressante qui ne tarde pas à se retrouver confirmer:
la soeur de Dani se suicide, emportant avec elle père et mère, faisant de sa soeur une orpheline
En à peine 5mn, le spectateur se trouve pris aux tripes et vient admirer le malaise sous-jacent suivant: Christian est un vrai con, une petite merde arriviste et nombriliste entreprend de laisser filer sa relation, chaotique avec Dani. Mais cette relation malaisante, ce substrat de chaos est la seule vérité dans lequel nous plonge le film. Car l'Enfer n'est pas une dimension évidente, l'Enfer ne se complet pas dans sa propre dimension, celui-ci sublime, crée la Beauté, le Paradis, l'altruisme, le don de soi... C'est à travers ce prisme de bonté que l'Enfer crée son cocon, berçant nos personnages d'une illusion bienfaitrice. Car toute la force de ce film, tant son scénario que sa réalisation repose sur l'Illusion avec un grand "I", cette puissance insidieuse qui sublime la vue d'une chose à tout un chacun. C'est une lutte perpétuelle vers une vérité qui se dérobe: l'Homme qui y est soumis a-t-il la force de s'y soustraire? Pourra-t-il sortir de la caverne, pour percevoir le monde tel qu'il est ?
C'est sous la coupe de l'Allégorie de la caverne que le Mal trouve ici toute propension à être, dans un film qui a pour maitre mot d'écarter la peur, de s'en défaire.... et c'est paradoxalement ce qui donne consistance à cette peur insidieuse. La volonté de s'en écarter ne fait que la rendre plus présente.
Et c'est l'ambiance qui participe à maintenir et développer ce climat anxiogène qui ne lâche pas le spectateur durant 2h30. En effet, dans ce genre cinématographique, il est très risqué de créer un film d'une telle durée, on risque de nombreux écueils: problèmes de rythmes, histoires trop complexifiés résultant une véritable perte de substance décentrant la peur du débat, etc...
Mais ici chapeau bas pour Monsieur Aster: en effet, celui-ci ne laisse aucun répit à ces spectateurs qui resteront dérangés du début à la fin. Cela est la résultante d'une bande son oppressante à souhait et sachant jouer entre les divers tons que le film se complait à dévoiler (horreur et humour n'auront jamais fait aussi bon ménage).
Il est impossible de parler de l'ambiance sans parler de la lumière employée pour le film; celle-ci est éblouissante. C'est un enfer ensoleillé, en Suède, pour un festival ayant lieu tous les 90 ans, on n'aura le droit qu'à deux légères heures de nuits. Le cauchemar est sans fin, se présentant comme une journée éternelle, car c'est là que se cache le mieux le Mal, en plein jour, à la vue de tous. Même en plein jour, personne n'est à l'abri. Et l'on en vient à douter de sa propre réalité, ce paradis illusoire n'est-il pas l'antichambre de l'Enfer? Là où le Beau ne vient qu'à servir l'Horreur. Car si ce film ne fait pas réellement peur, il frappera par le malaise constant et l'angoisse qu'il impose. Cette beauté ensoleillée vient choquer le sens commun du film d'horreur, ici terminée la noirceur de la nuit, lieu de tous les cauchemars, ici on ne se cache plus, c'est un mal brulant et éblouissant qui prend le temps de s'installer.
Cette idée d'illusion est renforcée par l'usage de nombreuses drogues, jouant avec la perception de nos personnages. Le monde devient vite difforme, distendu, comme une toile sur laquelle on aurait jeté de l'eau pour découvrir derrière le Malin, tentateur et observateur amusé de la réalité qu'il nous a créé.
L'écriture des personnages est à la fois une faiblesse et un avantage: Dani, personnage principal est relativement bien écrite, torturée à souhait, elle est le personnage le plus adaptée pour se perdre dans cette terrible illusion scandinave, dans laquelle elle finira par se perdre. C'est d'ailleurs une morale fataliste que nous livre ce film: il ne tient qu'à celui qui se laisse berner de créer sa propre réalité, s'enfermant dans l'Enfer qu'il décide de ne pas percevoir. Comme pour le deuil, le déni ici, frappe, sournoisement pour ne laisser derrière lui que la dévastation et une résiliation morbide. Christian, lui, est plus détestable, en proie à ses propres démons avant de comprendre que l'enfer c'est avant tout les autres. C'est un brutal retour à la réalité qui le frappera, lui et les autres.
Les autres personnages ne servent qu'à accentuer la construction des deux évoquées précédemment et donner un cadre à l'histoire. Mais un tel développement aurait certainement rendu le film bien plus long...
Je parle de brutalité juste avant, il convient donc de traiter le thème de la violence, poncif des films du genre: celle-ci est à l'image de l'illusion, insidieuse: elle est livrée en demi-teinte au spectateur qui ne peut l'imaginer, jusqu'au dénouement final où l'illusion cède pour laisser place à l'Enfer qu'elle retenait au fond d'elle. La véritable violence est ici morale, celle du spectateur qui se doit de voguer de malaise en malaise, dans cette superposition d'événements ensoleillés. Cette violence apparait aussi dans les songes des personnages qui sont rappelés à la réalité par... leur inconscient. Le cauchemar est là, mais il est pénible de le distinguer, comme il est pénible de regarder le soleil sans plisser les yeux.
Cette oeuvre se veut aussi prophétique et c'est là une dimension que j'ai particulièrement apprécie: l'art est omniprésent dans cette réalisation; d'une part, dans son sens premier, de nombreuses fresques, dessins, gravures viennent dévoiler le cheminement du film au spectateur attentif, et d'autre part, c'est par un cadrage, parfois picturale, que Aster renvoie à des symétries parfaites, rayonnantes, bien trop "belles pour êtres vraies". A être attentif, on peut réussir à prévoir le film sans jamais se faire à l'angoisse que l'on en retire.
les plus attentifs auront pu noter dans le film, la présence d'une tête de diable lorsque Dani subit la défonce après avoir bu le "thé dansant", venant ici renforcer la thèse d'un Enfer caché
Puis rapidement, à la fin, tout s'emballe, les masques tombent, l'illusion étant arrivé à son terme, l'Enfer reprend ses droits, tenu à bout de bras par les justifications nébuleuses de cette communauté qui ne vit qu'à travers des rites ancestraux.
Ce film a le mérite de renouveler avec le cinéma du genre à s'affranchissant des codes pour en créer des nouveaux, en les renversant, et livrant une fable tant philosophique que diabolique: la réalité que l'on se crée peut être la bonne si on l'enjolive de parures mais derrière cette belle réalité se cache une laideur maléfique qui ne se complet que dans la réalisation d'un beau trompeur.
Sommes nous capable de nous extirper de la Caverne avant qu'il ne soit trop tard?
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le 1 août 2019
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