Le sacre de l'été
Le plus immédiatement troublant devant Midsommar, c'est sans doute – comme à peu près tout le monde l'aura relevé – de se retrouver face à une œuvre horrifique toute faite d'été, de ciel bleu, de...
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le 3 août 2019
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Alors qu’Hérédité laissait entrevoir un cinéaste prometteur, Aster réunit dans ce deuxième essai les moyens de le transformer dans les grandes largeurs : un sujet plus original, une durée audacieuse (près de 2h30) et, surtout, la possibilité de mener à terme quelques-unes des thématiques qui l’obsédaient déjà dans l’opus précédent : la cellule familiale, la ritualisation et une approche de l’horreur qui fait fi des grossières recettes qui l’ont tant ankylosée.
Midsommar souffre d’un seul handicap, la possibilité de compter dans les rangs des spectateurs des cinéphiles qui auront vu le singulier Wicker Man de 1973. Un modèle qui déstabilise un peu la splendide originalité qui semble donner tout son rayonnement à ce film solaire et païen, et qui s’inscrit donc en réalité dans une filiation pourtant bien réduite. Mais le sujet en est si fort qu’on saura gré au réalisateur de l’avoir remis au goût du jour sans le galvauder par le lissage si fréquent du septième art après la période libertaire des 70’s.
L’analyse d’un tel film achoppe très vite sur un paradoxe fécond : la grande qualité de Midsommar réside dans sa clarté. Celle de l’image, bien sûr, dans une Suède estivale en où la pénombre ne règne que deux heures par jour, et qui génère une photo éblouissante, où les costumes blancs se fondent avec la blondeur des blés, pour une cérémonie en plans larges, toujours soucieux de rendre compte de la mise en espace de la communauté : à table, en ronde, en procession, en groupe, souvent grâce au recours de plongées grandioses de la caméra. En écho avec l’approche anthropologique des visiteurs, la mise en image est explicite, intégrale, et, souvent, en temps réel.
Cette démarche affecte le rythme même du récit, d’une lenteur singulière. Après un prologue suffocant, qui joue d’un montage alterné d’une cruauté psychologique assez redoutable, l’arrivée dans les terres païennes invite à une appréhension différente du temps (qui combine ici la dimension climatique et temporelle) : la piste évoquée par les psychotropes est un indice sur la nécessité de débloquer une norme et l’exploitation traditionnelle - c’est-à-dire pragmatique – du temps. L’initiation des invités est bien entendu celle du spectateur lui-même, qui, d’une certaine manière, est aussi longtemps qu’eux debout à cette table sans savoir à quoi s’attendre.
La dilatation du temps et de l’espace aboutissent ainsi à des tableaux, qui reproduisent le plus fidèlement la geste de cette société entièrement fondée sur l’image. Si quelques signes runiques et devins consanguins jouent d’un cliché de l’horreur folklorique, c’est bien l’explicite qui règne, les murs étant parsemés d’images qui annoncent dès le départ l’issue du récit. La mise en scène, là aussi, joue un rôle central, travaillant en continu les arrière-plans où les locaux s’adonnent à leurs traditions, jusqu’à mettre en sourdine la voix des protagonistes qui peinent à pleinement investir un cadre dont ils ne maîtrisent pas les codes. On peut, à ce titre, s’interroger sur la réaction des personnages et la docilité avec laquelle ils se prêtent aux rites, l’argument des substances visant à les désinhiber étant lui aussi assez volatil. Dans le même domaine, le recours au mensonge par la communauté, et de certaines stratégies (le pick-up à une seule place, par exemple) semble aller à l’encontre du propos général, et davantage servir quelques rebondissements qu’on aurait aimé plus fins.
Car le propos en question dépasse largement le jeu de massacre et l’effroi des sociétés occidentales. Le long prologue avant le départ, et le trauma originel de l’héroïne (là aussi, un incontournable qui sera pourtant parfaitement exploité) ont pour fonction d’installer des personnages convenus, dont on déterminera les manquements (banals, pour nous qui appartenons à leur monde) à l’aune des nouvelles règles de la communauté. Le monde des américains est sombre, dénué de communication, fondé sur le mensonge et les supercheries (de cette invitation faite à la copine dans l’espoir qu’elle ne vienne pas à la concurrence si vaine des étudiants sur leur sujet de thèse), et la cérémonie initiale par suffocation bâillonne une famine minée par le silence et la maladie. A l’inverse, la communauté explicite, met en voix, éclaire, et fait de la souffrance une chorale qui permet une catharsis collective. On plane, on festoie, on boit, on jouit, on meurt en groupe, dessinant les traits d’une famille idéale, dans laquelle le sentiment d’appartenance n’a jamais été aussi fort.
Cette ambivalence empêche une autre paresse du film d’horreur, la binarité grossière des deux camps séparant les victimes innocentes d’un mal tout puissant. L’effroi issu des scènes rituelles se conçoit dès lors non pas comme un rejet du mal, mais le choc d’une découverte qui ferait tomber nos barrières les plus ancestrales, à savoir notre morale chrétienne. Le sort de Christian, qui, avant d’être muet et paralytique, l’était déjà avec Dani, tout en ne parlant que pour mentir, en dit long sur la valeur explicitement symbolique de son prénom.
A la fin du premier rituel impliquant les protagonistes de 72 ans, la prêtresse explique avec un grand calme, et une immense bienveillance à l’égard des visiteurs la dimension anthropologique de ce qu’ils viennent de voir. It’s cultural, dira d’ailleurs l’un des américains. Aster aurait pu se contenter d’opposer à l’horreur ce discours explicatif, mais refuse de se limiter à cette facilité. La très grande qualité de Midsommar réside dans sa volonté de traduire à l’image la puissance des rites et tenter d’entraîner non seulement Dani, qui y fera enfin le deuil de sa famille et de son couple, mais aussi le spectateur. L’imagerie déjà évoquée, qui renvoie par instants à Bosch et qui fait des personnages des pantins dans une organisation savamment structurée (on ne peut s’empêcher de repenser à la très belle idée de cette maison de poupée dans Hérédité) est doublée d’un souffle proprement hypnotique lors de ces scènes de transes qui, elles aussi, justifient la longueur du film : la danse, les cris, le coït ne se limitent pas à l’étrangeté et le basculement dans la puissance de l’occulte : le rythme, l’image, la répétition lancinant agissent comme un psychotrope sur le spectateur, et, loin d’éveiller en lui la peur, le conduisent davantage vers l’euphorie.
On remarquera, pour finir, un point commun assez intéressant dans ces films qu’on réunit sous le terme de « Folk horror », et dans lequel Hérédité pourrait d’une certaine manière être inclus : le dénouement annonce toujours la victoire du camp adverse aux personnages auxquels nous pouvions nous identifier. Il en est de même pour The Wicker Man ou The Witch. D’aucuns diront qu’ils « finissent mal » ; ce courage par rapport à la convention narrative – chrétienne, occidentale, en un sens – est au contraire un signe très sain qui fusionne avec le sujet : dans cette expérience cathartique de la possibilité d’un autre rapport au monde, il est primordial de conduire le rite jusqu’à son terme. Et s’il ne s’agit évidemment pas de valider ces pratiques ou d’en faire des modèles moraux, force est de constater que ce splendide théâtre de la cruauté a des vertus qui dépassent bien des discours.
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le 8 août 2019
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