Disons le tout de suite le dernier opus de Baya Kasmi est de ces films qui ne payent pas de mine et qui pourtant cassent la baraque. Par l'émotion directe qu'ils suscitent, la lumière qui les touchent et les acteurs exceptionnels qui nous emportent.
Mikado est un film doué de cette rareté: faire surgir l'émotion à flanc de ciel dans un décadrage de lumière, ressentir profondément la vie des personnages grâce à un jeu d'acteurs inspiré et se surprendre en tant que spectateur à se demander sans cesse : qu'est-ce qui nous touche tant dans cette histoire qui n'est pourtant pas la nôtre?
Les acteurs d'abord: Félix, Patience, Ramzy et les autres
Citons Félix Moati le père dont le jeu est d'une intensité à fleur de peau. Tout est écorché dans son visage, son corps, sa voix, il donne à percevoir le poids du passé tourmentant de son personnage d'enfant de la DASS. Jamais depuis Romain Duris un acteur ne s'est présenté avec cette charge de fébrilité, cette absence de protection, cette rage de vie.
Face à lui dans un registre inattendu, Ramzy Bédia joue un professeur équanime à l'équilibre apparent. Une des scènes majeures de Mikado qui les réunit en face à face opposant les fêlures d'enfance de l'un aux douleurs de veuf de l'autre est un grand moment de cinéma.
Il faut bien sûr ajouter la jeune adolescente Nuage jouée par Patience Munchenbach à l'image de son prénom, aérienne et mystérieuse, discrète et solide, curieuse et poétique. Nous sentons bien que Baya Kasmi s'est inspirée du sillage que laisse le visage de cette comédienne : un pur régal de contemplation, d'émotions, de récits qu'elle apporte par sa seule présence à l'image.
Il faudrait citer tous les autres. Ajoutons juste une autre scène de pur cinéma entre Mikado-Felix Moati et sa mère campé par la réalisatrice Marion Vernoux, leur face à face dans un plan rapproché très digne et inusuel est dément. On y lit toute la vie de ces deux-là, toutes les histoires que le film nous raconte avec grâce et fluidité : le manque d'amour, le trop d'amour, l'asphyxie des familles, la quête pour chacun de vies plus volatiles quitte à être illégales, la soif de liberté, d'équilibre, de symbiose avec soi.
Justesse, grâce, palpitation des vies, acteurs cathartiques, sentiments forts. Mikado est un film lumineux et habité qui n'est pas sans affinités avec l'humeur et la finesse du dernier Karine Tardieu l'Attachement