Milan Calibre 9 (quel titre !) affiche clairement des ambitions cinématographiques plus exigeantes que le tout-venant du néo-polar italien, lorgnant d'ailleurs plus vers le genre mafieux que réellement policier. Sa séquence d'introduction donne le ton, oufissime de classe, de trognes, de moustaches et de cheveux gominés, ambiance urbaine, montage nickel, musique rentre-dedans en contrepoint de cette succession d'échanges muets d'un mystérieux paquet. La dinguerie de sa conclusion donne immédiatement le ton et colle au siège dans l'attente du reste.
L'intrigue évite les fioritures au profit du développement des personnages et des relations dangereuses qui agitent le milieu du banditisme : on se concentre sur les mésaventures de Ugo Piazza, tout juste sorti de prison pour un braquage qu'il réfute avoir commis, coincé entre ses anciens partenaires qui veulent récupérer le supposé magot volé et les flics qui ne voient en lui qu'un appât pour faire tomber toute la bande. Seule bouée de sauvetage, son ancienne régulière, une gogo danseuse dont les goûts en décoration d'intérieur sont ravageurs.
Di Léo prend le parti de la non-sacralisation des gangsters. Si quelques uns évoquent encore un vague code d'honneur, il apparait bien vite que seuls le profit et la domination par la violence font loi, aucune lueur de rédemption à l'horizon. Comme le dit le vieux parrain déchu, il n'y a plus de mafia, juste des bandes de voyous qui s'entre-tuent. L'approche du genre fait donc furieusement penser aux Combats sans code d'honneur de Fukasaku qui, à l'autre bout du monde, partagent ce même constat sombre et nihiliste. On mettra de côté le personnage du commissaire communiste qui rêve de voir des fusillades de banquiers, un peu cheveu sur la soupe même s'il illustre le positionnement politique du réalisateur dans les tiraillements idéologiques de l'Italie de cette époque.
La réalisation est la plupart du temps fonctionnelle mais toujours propre, et surtout, elle s'autorise régulièrement des expérimentations esthétiques assez sympas (la danse dans le club) voire une véritable flamboyance (l'introduction bien entendu, mais aussi cette splendide séquence toute en ombre et lumière des 4 gangsters dans la voiture). Di Léo filme au plus près de ses acteurs, parfaites gueules du cinéma européen, que ce soit Gastone "Face de Marbre" Moschin (dont on s'étonnera de savoir que sa carrière est surtout humoristique, tant il est parfait en truand taciturne au regard d'acier), Mario Adorf (son Rocco est dingo d'histrionisme latin inquiétant, tout en peau moite et cheveu luisant) ou un Philippe Leroy à la face creusée et aux corps noueux. Sans oublier tous les seconds couteaux qui remplissent parfaitement leur rôle de dangereux sbires.
Milan Calibre 9 se montre certes chiche en matière d'action, loin du style d'un Umberto Lenzi, mais il fait merveille dans la tension qui peut régner à l'écran, avec une fin vraiment puissante qui laisse un sale goût en bouche (l'anecdote de René Marx sur le montage original qui répétait la même séquence une quinzaine de fois, ce qui déplut à la censure, fait fantasmer tant il apparait cohérent) tout en confirmant la conviction d'avoir vu une excellente série B.
Le transfert HD de l'édition de Elephant Films fait vraiment honneur au film, très agréable à l'écran et donnant vraiment une impression de respect du matériau d'origine.