Millénium - Les hommes qui n'aimaient pas les femmes par TheScreenAddict

Après L'Étrange histoire de Benjamin Button et The Social Network, à travers lesquels David Fincher explorait son thème favori, la marginalité, au moyen d'un surprenant classicisme formel, l'auteur de Se7en nous propose avec sa relecture de Millenium un thriller aussi captivant que torturé, doublé d'un nouveau portrait de marginale, celui d'une Lisbeth Salander réinventée.

Passé un générique d'ouverture d'une puissance graphique à couper le souffle annonçant une atmosphère lourde et goudronneuse, porté par une reprise écorchée de l'Immigrant Song de Led Zeppelin, le film reprend les grandes lignes de l'intrigue déjà adaptée il y a trois ans par Niels Arden Oplev : Mikael Blomkvist (Daniel Craig), journaliste brisé par un procès pour diffamation qu'il vient de perdre, se voit contacté par un puissant industriel suédois qui cherche à découvrir la vérité sur la disparition de sa nièce, quelques décennies auparavant. Au cours de son enquête, qui va l'amener à déterrer de terribles secrets de famille, Blomkvist rencontre une jeune hackeuse rebelle, Lisbeth Salander (Rooney Mara), qui devient son assistante. La grande force de l'adaptation de Fincher réside d'emblée dans la peinture attachante des deux personnages principaux, Blomkvist et Salander, deux êtres que tout sépare a priori, mais qui finissent par former un véritable couple de cinéma, totalement complémentaire et complice, rappelant parfois l'improbable duo Norton/Bonham-Carter de Fight Club.

A la personnalité BCBG d'un Craig-Blomkvist ordinaire (intéressante désacralisation de l'acteur, que l'on identifie désormais trop facilement à James Bond), Fincher oppose la noirceur douloureuse d'une féroce mais fragile Mara-Salander (méconnaissable sous son teint blafard et ses innombrables piercings). Seulement dans un premier temps, car la progression dramatique du film, à travers son exploration de la force et de la faiblesse de chacun, finit par les réunir en une seule entité prête à affronter le mal qui se dresse de tout côté. Mais si, sous l'œil de Fincher, Craig apparaît comme moins marmoréen qu'à l'accoutumée, c'est avant tout le portrait de Lisbeth Salander qui le fascine et l'inspire : Rooney Mara compose en effet un personnage qui nous rappelle à peine celui qu'incarnait Noomi Rapace, un personnage féminin écorché littéralement réinventé, investi d'une sensibilité nouvelle et d'une touchante ambiguïté, dont le corps et l'âme hantent durablement l'esprit du spectateur. Fincher évite habilement le cliché de la rebelle gothique et bourrine pour lui redonner une troublante féminité, à la fois attirante et mystérieuse, tour à tour offerte et sibylline, simultanément ange et démon. Incarnation de la vulnérabilité sous une carapace de dragon. Un portrait de femme qu'on est pas prêt d'oublier et qui vient enrichir la galerie de marginaux fascinants construite par le cinéaste tout au long de son œuvre.

Tout en reforgeant l'identité des personnages clés de l'intrigue, Fincher donne à son adaptation de Millenium une identité graphique, esthétique, que ne possédait pas son prédécesseur, à savoir des images fortes et marquantes au service de la construction d'un véritable univers cinématographique. Jeff Cronenweth, désormais directeur de la photographie attitré de Fincher, confère au film une splendeur perpétuelle, noces pétrifiantes de cadrages élégants, d'accents expressionnistes (dans le jeu des contrastes, des ombres et des clairs obscurs) et d'une noirceur toute métallique. Une splendeur de chaque instant portée par la fluidité confondante du montage. Le rythme langoureux de l'histoire, hanté par les accords lancinants de Trent Reznor et Atticus Ross, nous plonge dans une atmosphère entêtante aux frontières du fantastique et du conte. Un conte où le merveilleux s'est depuis longtemps délité, un conte moderne et cruel dressant le portrait d'âmes noires. Redonnant à la notion d'enquête ses lettres de noblesse, Fincher plonge nos rétines dans l'insondable goudron d'un mal obsédant et nous livre, avec une formidable délectation, l'un de ses plus beaux polars.
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le 19 janv. 2012

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