Il m’aura fallu attendre 4 longs métrages de Satoshi Kon pour trouver la synthèse parfaite de son œuvre, le point d’équilibre qui mette à profit son talent pour les transgressions narratives, les labyrinthes des mises en abymes et sa capacité la plus élémentaire à émouvoir.
Loin des vertiges de Palmiens de Perfect Blue, des délires baroques et hermétiques de Paprika, bien au-delà de la tendresse un peu légère de Tokyo Godfathers, le réalisateur commence par voir ses ambitions à la baisse en terme de récit : il s’agira, ni plus ni moins, que de restituer la vie d’une grande actrice japonaise, d’un homme qu’elle poursuivit toute sa vie avec pour quête de lui rendre une clé, ainsi que celle de son cœur. Un conte, en somme, sous les atours d’une saga traversant les époques et, partant, les genres cinématographiques investigués par les studios nippons, des grands Kurosawa (on jurerait croiser des plans de Ran ou Kagemusha) aux mangas les plus récents, du chambara à la SF.
Sur cette linéarité, narrée par la protagoniste à l’occasion d’une interview rétrospective, le scénariste greffe une forme autrement plus sophistiquée : les auditeurs sont présents dans les flashbacks, faisant cohabiter deux temporalités, celle du récit et celle du souvenir. La distance est donc maintenue en permanence : on voit par exemple le journaliste avec son caméscope dans un palais de samouraïs. Et c’est de ce dispositif, qu’on pourrait considérer comme une coquetterie, que surgit justement l’émotion du film. Toutes les séquences de souvenirs sont autant de tournages potentiels, réduits autour du même groupe de comédiens, adjuvants et opposants, rivale féminine et admirateur transi. La répétition du schéma narratif réitère à l’infini les enjeux, modulant le même motif émotionnel comme celui d’une mélodie universelle dont les variations subtiles s’égrènent au fil des époques.
L’animation épouse parfaitement la fluidité de l’écriture, particulièrement travaillée dans l’art des transitions : une porte, une chute, un panoramique sont les occasions de passer d’une temporalité à l’autre, d’une fiction à un nouveau réel, sans jamais épuiser la formule.
La morale est limpide : la quête aura plus importé que le but à atteindre, qui, somme toute, n’est que la mort. Au sein de cette nostalgie face à la fuite du temps, Satoshi Kon affirme avec maestria l’un des accès à l’immortalité : l’art de conter.
(8.5/10)