Pour leur troisième film, les frères Coen délaissent la comédie loufoque et s'attaquent au polar pur et dur, à l'époque de la Prohibition. Retrouvant ainsi leur goût acéré pour le film noir (à l'instar de leur premier méfait Sang pour sang), les deux frangins nous ont concocté un véritable chef-d’œuvre du genre où un bras-droit aussi malin qu'imprudent va s'engouffrer dans les pires ennuis quand ses multiples tromperies le dépassent. Au programme : manipulations, traîtrises, coups fourrés et fusillades en trombe pour un polar réjouissant comme on en voit peu...
Notre héros se nomme donc Tom 'Tommy' Reagan (Gabriel Byrne dans le rôle de sa vie), la classe incarnée. Fidèle bras-droit du parrain de la ville (Albert Finney) mais aussi manipulateur dans l'ombre couchant même avec la fiancée de son patron (excellente Marcia Gay Harden), joueur endetté jusqu'à la moelle et fine bouche blagueur remettant à chaque fois l'interlocuteur en place, Tommy est un anti-héros immédiatement attachant, un loser aux allures de cador, un aimant à problèmes, un personnage tout droit sorti de l'esprit des frères Coen donc.
Tom change de bord comme de chemise, allant d'un camp à l'autre de la ville, tentant de sauver sa peau en alignant les erreurs. Un brave type comme on en fait plus qui va peu à peu découvrir que dans le milieu, il n'y a ni amis, ni confiance : chacun dupe l'autre et c'est la loi du plus fort qui prime. Autour d'un scénario intelligent respectant foncièrement les codes du film noir, les frères Coen nous livrent une mésaventure sanglante et complexe dans l'Amérique des années 20/30 où la corruption est monnaie courante, où les femmes fatales sont légion et où les règlements de comptes n'effraient plus grand monde.
Non sans une pointe d'humour principalement répartie dans les échanges cyniques entre Tommy et Le Danois (J. E. Freeman), les scénaristes-réalisateurs arrivent à délivrer un côté dramatique puissant, passionnant, évolutif et singulier autour d'une mise en scène époustouflante. Ainsi, outre les costumes, décors et accessoires, c'est à travers des dialogues brillants portant indéniablement la patte des Coen que l'atmosphère typique de l'époque réside. Échec incompréhensible au box-office de son temps, Miller's Crossing reste pourtant l'une des meilleures perles du célèbre duo et un impressionnant film de gangsters qui n'a pas pris une ride.