Il fallait oser. C’est ce qu’on ne cesse de se dire dès la première image de ce film où une femme trouve un enfant dans un chou. Délaissant le néoréalisme, le cadre de la fable est posé, et ne cessera de se déployer jusqu’à l’envol final.
Prenant pour cadre les bidonvilles d’une cité ravagée par la guerre, Miracle à Milan fait souvent écho aux Raisins de la Colère de Ford : même attention portée aux visages, même sens de l’empathie pour sa vaste galerie de personnage. Scènes de foules, de liesse, de chant collectif parsème cette ode à la solidarité et l’entraide, que ne renierait pas non plus un Capra. La singularité du film tient dans sa façon de conjuguer cet humanisme à la fantaisie la plus pure. La première séquence, sans parole et dotée d’un grand sens de l’ellipse, nous rappelle toute la grammaire du film muet : travail sur les visages (celui du personnage principal étant particulièrement expressif), densité des cadres instaurent une esthétique riche de cette fraîche naïveté de l’aube cinématographique, notamment dans le travail sur la profondeur de champs de rues démesurées et quasi expressionnistes. La magie qui suivra (les pauvres courant après les rayons de soleil pour s’y réchauffer, et tous les miracles faisant apparaître chapeaux, pelisses et consorts) s’inscrit d’ailleurs dans l’héritage direct de Méliès.
Avant d’en arriver là, c’est la comédie qui prime, avec un sens de la farce visuelle qui préfigure le travail de Tati. Alors que le cadre du bidonville est censé véhiculer un discours pathétique, la joyeuse cohorte renouvelle constamment la fantaisie à l’aide de jets d’eau ou de ballons tout en construisant une utopie de plus en plus contagieuse. Là, une porte oblique plantée dans un terrain vague est un élan vers le jeu, et l’on repousse les fumigènes de la police comme Moïse écarta les flots de la mer rouge.
De Sica et Zavattini ne s’imposent aucune limite, et la mécanique s’emballe : à mesure que la foule s’accroit et que les symboles christiques s’accumulent sur le protagoniste, toute la dimension métaphorique s’efface au profit d’un merveilleux entièrement assumé. Miracles, magie, frénésie collective s’enchainent jusqu’à un final hallucinant de décollage de balais en liaison directe vers le paradis.
On peut néanmoins se questionner sur le fonds idéologique véhiculé par le film : si c’est des miracles consuméristes rappelant la multiplication des pains et du vin qu’on promet aux miséreux, ou un aller simple vers le Royaume des Cieux, il faut s’accrocher à une sacrée foi pour ne pas y voir un déni des basses et embarrassantes réalités terrestres.
Surprenant, déconcertant, débarrassé de tout cynisme et armé d’un optimisme hors pair, Miracle à Milan est une curiosité rafraîchissante qui a, quoi qu’on en pense, le mérite de son originalité.