A Morgan’s Creek (un peu mieux que le trou perdu que le titre laisse supposer), pendant la Seconde Guerre Mondiale, c’est l’effervescence, parce que les hommes jeunes sont mobilisés. La charmante Trudy Kockenlocker (Betty Hutton) ne pense qu’à aller au bal donné en l’honneur des jeunes recrues. Malheureusement, son père (William Demarest) s’oppose formellement à cette sortie. Celui-ci, gendarme faisant la circulation aux carrefours, fait son possible avec ses deux filles qui lui donnent beaucoup de fil à retordre, l’ainée ne pensant qu’à sortir, s’amuser et évaluer ses prétendants en compagnie de sa jeune sœur Emmy (Diana Lynn) qui a déjà des idées bien arrêtées sur pas mal de points.


Pour assister au bal, Trudy va profiter sans le moindre scrupule d’une invitation de Norval Jones (Eddie Bracken), qui est amoureux d’elle depuis l’école primaire. Il arrive à point nommé pour l’emmener au nez et à la barbe de son père, afin d’aller au cinéma (séance de trois films consécutifs !) Sauf que la calculatrice Trudy n’en fera qu’à sa tête, usant sans vergogne de la cote qu’elle a auprès de Norval pour faire de lui un simple alibi.


Trudy assiste donc au bal, fait les 400 coups pour ne retrouver son cavalier officiel qu’au matin. Les conséquences sont multiples. D’abord vis-à-vis de son cavalier, mais aussi vis-à-vis de son père et en définitive pour elle-même.


Le réalisateur, Preston Sturges se montre franchement à l’aise dans le domaine de la screwball comedy, où il donne des rôles marquants à Betty Hutton et Eddie Bracken, ainsi qu’à William Demarest et Diana Lynn. L’action rebondit très régulièrement et les dialogues fusent comme il se doit. Le père de Trudy se comporte bien souvent en rustre. Voir les coups de pied au derrière qu’il tente d’expédier à sa cadette, tentatives qui se retournent régulièrement contre lui, Sturges ne dédaignant pas le comique burlesque. Mais le père est un veuf qui se débat pour exister face à ses deux filles qui débordent d’énergie et d’inventivité pour contourner ses interdits et faire face à des situations qui s’enchainent. Trudy et Emmy se comportent de manière incroyablement libres (leur improbable nom de famille le sous-entend, voir la signification de l’expression cock-in-locker), naturellement féministes et bien décidées à faire en sorte de déjouer tous les pièges que la vie leur tend, la cadette profitant de l’expérience de son aînée pour se montrer à son avantage. On sent d’ailleurs qu’elle ne perd pas une miette de ce qui se passe, pour éviter les mêmes erreurs que sa sœur. Quant à Trudy, le scénario met en lumière ses défauts comme ses qualités. D’abord calculatrice et manipulatrice pour trouver le moyen d’aller au bal et de s’y amuser sans compter (et sous couvert d’un altruisme de façade), elle se montre incroyablement humaine vis-à-vis de Norval qui se découvre complètement en lui avouant son amour sans faille. C’est d’ailleurs l’occasion de situations hilarantes, puisqu’elle considère de son devoir de dire à son tour la vérité, faisant bondir son soupirant. Il y a là une théâtralité certaine qui affaiblit légèrement le film. Ainsi, Trudy et Norval s’expliquent en public et ne se retiennent pas pour hurler leurs réactions, tout en sachant qu’ils devraient faire dans la discrétion. Passe pour Norval qui joue longtemps les benêts bégayants (le pauvre, pas franchement gâté par la nature, n’a ni l’habitude de plaire aux femmes, ni les réflexes pour faire face à leurs arguments offensifs/défensifs dans leur lutte face au machisme). C’est moins crédible pour Trudy. Au crédit de Sturges, le tournage du film date de 1942, époque où sévissait le code Hays, encadrant rigoureusement les comportements. Le film se joue de ces restrictions tout en affichant une incroyable liberté de ton.


La réputation de Trudy évolue en fonction de ce qui se raconte à Morgan’s Creek, tout ceci arrivant jusqu’aux oreilles des politiques. Celui qui intervient finalement n’est autre que le personnage de Gouverneur malgré lui film tourné précédemment par Preston Sturges. On remarquera également que le film ne se termine pas par un happy end conventionnel, la surprise de Norval devant la tournure finale valant son pesant d’or. D’ailleurs, cette situation fait écho à une remarque du père de Trudy, quelque peu désabusé, qui avait laissé entendre qu’élever des filles n’est pas une sinécure. Gageons qu’élever des garçons (quel que soit leur nombre), réserve également quelques surprises aux heureux parents.

Electron
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le 19 sept. 2014

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