Découvert avec Canine et Alps, le grec Yórgos Lánthimos nous avait surtout estomaqué en 2015 avec The Lobster, farce sinistre et poétique sur les diktats du couple. Avec Mise à mort du cerf sacré, prix du scénario au dernier festival de Cannes, son cinéma pince-sans-rire atteint non seulement une grâce ahurissante, mais également des sommets d'horreur psychologique. Âmes sensibles s'abstenir : chef-d’œuvre traumatisant.


Depuis ses débuts, Yórgos Lánthimos prend un malin plaisir à tourner en dérision les codes de notre société, en nous invitant dans des sortes d'univers parallèles régis par d'étranges rituels (« Si vous restez célibataire plus de 45 jours, vous serez arrêté et transformé en un animal de votre choix », « Vous ne pourrez découvrir le monde extérieur que lorsque votre canine droite sera tombée » etc.). Souvent cruelles, ces règles exposées dès l'ouverture de ses films offraient autant de situations absurdes que d'effrois, à tel point qu'il nous arrive assez fréquemment de rire jaune face à ce cinéma si atypique. Mise à mort du cerf sacré opère quant à lui un tournant plus réaliste dans la filmographie du cinéaste, dans la mesure où il situe son histoire dans un monde qui nous est familier : la banlieue américaine contemporaine. Tel un uppercut, le bizarre survient cette fois-ci en milieu de récit et se répand jusqu'à une apothéose que le spectateur redoute de plus en plus.


Virtuose dans sa manière de distiller progressivement l'inquiétante étrangeté dans son scénario, Lánthimos met en scène l'effondrement d'une famille pour le moins acerbe, dont l'égoïsme et la froideur croit à mesure que la terreur s’immisce chez elle. Cette terreur, c'est Barry Keoghan, acteur adolescent au faciès extraordinaire aperçu dans Dunkerque, livrant ici une pure incarnation du mal absolu souhaitant assouvir une pulsion de vengeance.


Le film prend alors une allure de fable (satyrique), voire de tragédie (grecque), d'autant plus qu'il assume totalement une dimension fantastique. En effet, plusieurs événements « surnaturels » surviennent sans explication rationnelle et ces derniers nous font vite comprendre qu'aucune échappatoire ne sera envisageable. Cette fatalité est d'ailleurs retranscrite à l'écran par une figure de style omniprésente : l'emploi de travellings et de zooms avant, comme moyen de resserrer l'étaux autour de Colin Farrell et Nicole Kidman, tout bonnement excellents en parents névrosés, pris au piège dans un impensable chantage.


Vous l'aurez compris, Mise à mort du cerf sacré témoigne d'une certaine fascination pour le mal, à laquelle il n'est cependant pas interdit de succomber (et face à laquelle il n'est pas non plus impossible de rire si vous êtes friand d'humour noir). Il n'est d'ailleurs pas surprenant que son réalisateur, dans ses décors immenses, ses cadrages et ses mouvements de caméra sophistiqués, ait beaucoup emprunté à la plus diabolique des œuvres de Stanley Kubrick : Shining. Comme son modèle, le film imprègne nos rétines de visions traumatisantes, d'images à la fois d'une grande beauté plastique et d'une violence psychologique glaçante (notamment celles impliquant la déshumanisation croissante d'enfants).


Sans vouloir encore une fois me faire passer pour le psychopathe de service, cette aberration morale, ce bel objet dérangé compte parmi mes plus belles claques cinématographiques de l'année. Un long-métrage remuant à souhait, mais aussi tragiquement poétique, que je recommande à un public averti.


https://amaurycine.blogspot.com/2017/10/mise-mort-du-cerf-sacre.html

Amaury-F
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le 25 oct. 2017

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