Mishima : A Life in Four Chapters est un film passionnant, évoquant la trajectoire de l'un des plus grands auteurs contemporains japonais de son temps, Yukio Mishima par un procédé narratif précis, structuré et radical. Ainsi, il s'agit de comprendre les raisons qui ont pu amener Mishima à se faire hara-kiri en novembre 1970. Il s'agira à la fois de retracer son parcours, ses œuvres artistiques, et la dernière heure de sa vie.


La représentation de ses œuvres littéraires à l'écran est un moyen d'étudier la psychologie du personnage, de saisir les choix qu'a entrepris l'auteur par le passé. L'œuvre artistique est un moyen de s'affirmer pour le jeune auteur, de retrouver son foyer familial mais également de comprendre ses plus grandes peurs, en les affrontant dans la fiction.


Si le personnage en viendra à devenir adepte du culturisme, c'est parce qu'il a intrinsèquement peur de la moquerie, la représentation du bègue n'est d'ailleurs pas une coïncidence, Mishima ne pouvait sortir de son foyer familial, et subissait les railleries de ses camarades. La détresse du jeune bègue est bouleversante, en ce qu'elle souligne implicitement, celle ressentie par le jeune auteur. Le jeune auteur, dont les poèmes qualifiés de piètres par son maître, comme le personnage fictif moche physiquement selon son ami dans le roman, choisira de trouver la beauté.


Seulement, la beauté pour affronter son regard, s'apprécier. Mais également, pour confronter le regard et l'opinion de l'autre. A l'image du roman "Runaway Horses" qu'il publiera, la beauté n'est qu'un masque de l'homme revêti en société , qui ne permet pas de le connaître véritablement, mais qui peut devenir un moyen pour agir et concrétiser ses rêves. De là naîtra l'envie de s'échapper de cette société moderne, afin de retrouver l'âge d'or du Japon et de la voie des Samouraïs, en formant une armée militaire privée.


Le personnage de Mishima est rendu compréhensible dans ses actes et sa pensée, parce qu'il n'a pas changé depuis le jour où sa grand-mère refusait qu'il revoit sa mère, la même rejetant les nouvelles manières d'une société, faisant honte à la pureté du pays. Il n'a connu que cela, et a toujours rêvé de mourir en soldat pour son pays, comme lorsqu'il s'apprêtait à aller au théâtre pour revivre les événements passés de sa nation avec sa grand-mère.


L'écriture était une liberté pour le jeune Mishima, exprimant ses plus grandes craintes, ses amours mais également ses rêves. Avec le sabre symbolique d'une époque, le personnage trouvera la paix avec lui-même et délivrera un discours certes ignoré, mais aspirant à décrire ce qu'il a toujours ressenti, exprimé dans ses œuvres : l'urgente détresse d'une jeunesse ignorante de sa culture nationale, dégradant la pureté d'un pays ne demandant qu'à renaître.


Il transforme ainsi son rêve, où l'épée en plastique lui refusait de faire hara-kiri, en réalité par ce dernier discours, comme point culminant de son art. Ce dernier acte est vécu comme une renaissance pour l'artiste-combattant. Malgré la tragédie, la gravité de son acte et la peur ressentie par ses disciples croyant aveuglément aux idées traditionnalistes et conservatrices de leur chef, Mishima aura atteint son rêve : il aura trouvé sens à son existence, mourant comme il l'avait toujours rêvé en tant que soldat pour sa Nation.


Le film de Paul Schrader est une œuvre sensorielle et visuelle extrêmement forte, sur la puissance salvatrice de l'Art, et tragique lorsqu'elle évoque l'inextricable rejet par la société de l'incompris, du perdu, que l'on ne tentera jamais de raisonner, si ce n'est lorsqu'il s'apprête à commettre le dernier acte irréparable.


Critique rédigée en 2021.

William-Carlier
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le 30 oct. 2021

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