Hara-kiri.
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Quand un réalisateur se plonge dans un biopic sur l'un des écrivains qui le fascinent le plus, on peut légitimement redouter l'hagiographie. D'autant plus dans le cas qui nous intéresse, sachant qu'un réalisateur américain (Paul Schrader) s'attaque à un mythe de la littérature nippone (Yukio Mishima). Le choc des cultures annoncé n'a pourtant pas eu lieu. Enfin si, mais pas comme on aurait pu s'y attendre.
Car en choisissant de dresser un portrait honnête, torturé et complexe (et peut-être un peu fantasmé), en refusant tout net l'académisme et la révérence, Schrader s'est attiré - avant même la fin du tournage - les foudres du public japonais, pour qui la vie de l'icône Mishima n'avait de toute façon pas lieu d'être racontée par un étranger.
Une polémique vaine, tant Schrader parvient à transmettre sa fascination pour l'homme, l'artiste et son art, et par là même son admiration pour la culture japonaise. N'ayant jamais lu une ligne signée Mishima, j'en ressors avec une seule envie : combler cette lacune ! Parce que l'homme semblait porter une réflexion extrêmement intéressante sur le pouvoir des mots, sur leurs limites, sur la beauté qui aliène les hommes, sur la mort et l'immortalité, donc sur l'art. Schrader, loin de brosser Mishima dans le sens du poil, renvoie l'image kaléidoscopique d'un artiste tantôt attachant, tantôt vaniteux, aussi déterminé que rongé par le doute, les pulsions auto-destructrices, et cette éternelle insatisfaction qui est l'apanage de l'être humain. Sa conviction inébranlable et ses idées passéistes / rétrogrades auront finalement raison de lui.
Pour rendre compte du personnage dans toute sa richesse et nous donner accès à toutes les pistes composant le paradigme mishimien, Schrader a mis le paquet à tous les niveaux. Le procédé narratif, d'une audace hallucinante, s'impose comme une évidence par sa fluidité. Les ponts dressés entre éléments biographiques, extraits des oeuvres de Mishima, et compte rendu de sa dernière journée de vivant, témoignent d'une grande sensibilité psychologique et d'un travail d'écriture absolument faramineux.
Montage, musique (signée Philip Glass) et mise en images touchent souvent du doigt cette harmonie que Mishima aura cherché toute sa vie. Le film déborde d'idées visuelles aussi inventives que couillues, avec notamment un boulot scénographique dantesque pour donner vie aux écrits de Mishima. Ces décors de théâtre éclairés de couleurs vives, confinant à l'exploration surréaliste de la psyché mishimienne, tout comme le noir et blanc classieux et solennel des jeunes années de l'auteur, contrastent magnifiquement avec le froid réalisme des dernières heures de Mishima, que Schrader déroule avec autant de tension que de conscience du désespoir.
Ambigu, kamikaze, foisonnant, unique en son genre, Mishima est en définitive l'achèvement réussi d'un projet tellement fou qu'il n'a jamais trouvé son public. Et l'histoire ne dit pas si, là où il est, Mishima a enfin pu se regarder dans le miroir, en l'occurrence celui tendu par Schrader.
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le 11 juin 2017
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