Miss Oyu
7.3
Miss Oyu

Film de Kenji Mizoguchi (1951)

Miss Oyû ? Façon de parler, car le personnage-titre (Kinuyo Tanaka) est une veuve, non une demoiselle. Elle accompagne sa jeune sœur, Shizu (Nobuko Otowa) avec qui elle entretient des rapports privilégiés, pour rencontrer Shinnosuke Seribachi (Yûji Hori). Celui-ci attend en compagnie d’une femme qui se révèle être sa tante, dans un pavillon à l’écart de la ville de Kyoto, un endroit boisé où on remarque du bambou. D’emblée, le film est placé sous le signe de l’esthétique (les costumes) et la rencontre est une véritable cérémonie très guindée où chacun s’exprime et se déplace comme s’il fallait respecter un rituel séculaire. Et c’est bien de cela qu’il s’agit car tout le film détaille les codes d’une société qu’il est hors de question de bousculer. A cause de ces codes, des vies peuvent être brisées et l’art devient un dérivatif. L’épanouissement de Miss Oyû passe par la musique, elle chante en s’accompagnant d’un instrument à cordes (a priori typiquement japonais) qu’elle pose horizontalement sur le sol devant elle en jouant à genoux, accompagnée ou seule.


Miss Oyû (vêtements clairs) arrive donc à Kyoto avec la suite de sa jeune sœur Shizu qui est mise en valeur par un costume flamboyant (on s’en rend parfaitement compte, même si l’image est en noir et blanc). Il n’empêche qu’à son arrivée, Shinnosuke n’a d’yeux que pour l’ainée qu’il prend pour Shizu.
Apparemment, tout se passe bien. Mais il est clair que si Shinnosuke se marierait bien (d’ailleurs, pour lui il semblerait qu’il soit temps, ce n’est plus un adolescent), son souhait est que ce soit avec Miss Oyû et non avec sa sœur. Si son attirance est partagée, le souci vient de la bienséance que toute bonne famille respecte (le film date de 1951), bienséance disant qu’une femme veuve ne peut pas se remarier si elle a encore un enfant à sa charge, ce qui est ici le cas. A partir de ce postulat, tout ira de travers irrémédiablement, car si on peut changer d’avis, il est des décisions dont les conséquences sont irréparables.


Ce film (titre original Oyû-sama) signé Mizoguchi est une adaptation d’une œuvre de Jun’ichiro Tanizaki. Si le film n’a pas la réputation d’autres œuvres du réalisateur nippon, c’est en partie parce que l’adaptation fut difficile. D’après Yoshikata Yoda (le scénariste), dans le roman Miss Oyû n’était pas décrite physiquement (sauf par un visage de poupée). L’explication ne me suffit pas, car le choix de Kinuyo Tanaka pour l’interpréter ne m’a pas convaincu. En effet on ne sent jamais pourquoi Shinnosuke est fasciné par Miss Oyû et non par sa sœur, plus jeune et au visage plus fin. La seule explication possible tiendrait au fait qu’ils sont de la même génération et que Shinnosuke se verrait mieux avec une femme d’expérience qu’avec une oie blanche. Mais, rien dans le film ne vient appuyer cette thèse.


L’essentiel dans le film tient aux amours contrariées et à l’implacable enchainement de circonstances qui ne fait qu’élargir le champ du drame. Un drame dû au respect des convenances qui va à l’encontre des aspirations sentimentales (il est vrai inattendues). Le plus terrible, c’est qu’on sent les personnages accepter ces contraintes non pas avec passivité mais en toute conscience (ils risquent bien d’exercer les mêmes contraintes sur la génération suivante).


Mizoguchi filme avec une rare élégance, mettant en valeur ce qui l’intéresse, à savoir le raffinement esthétique (marqué par la BO très couleur locale au début et lors des scènes de concert), les costumes et coiffures, ainsi que les décors (intérieurs, accessoires, etc.) La mise en scène est à l’avenant, avec un rythme plutôt lent souligné par les rares mouvements de caméra (elle pivote doucement pour suivre les mouvements des personnages ou permettre un regard en profondeur dans un intérieur, où les cloisons en papier ne donnent pas d’impression de fragilité mais plutôt de trésors à découvrir). L’ensemble détaille les mentalités et comportements traditionnels japonais.


On peut néanmoins regretter quelques approximations ou incohérences. Ainsi, la façon dont Miss Oyû approche Shinnosuke : comment justifier, même alors qu’elle est sujette à un malaise, qu’on la laisse entrer dans un lieu où elle serait seule en compagnie d’un homme ? D’autre part, le fait que Shinnosuke soit régulièrement en compagnie d’une tante n’est jamais vraiment explicité. Enfin, la façon dont Shizu fait de sa vie un sacrifice, simplement parce que cela va dans le sens de la volonté de sa sœur, manque un peu de crédibilité.


Par contre, le sous-entendu comme quoi la vie est faite d’impossibilités successives dont seule la beauté sous toutes ses formes peut consoler est bien la marque d’un maître, surtout que chaque plan du film est composé comme une œuvre d’art.

Electron
7
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le 25 mars 2016

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Electron

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