Anne-Eloïse, grande fan de Burton, ne pouvait pas manquer la sortie de Miss Pérégrine et il faut avouer qu'elle a bien fait d'acheter son billet parce que Samuel L. Jackson, en variation moins spirituelle mais plus poétique que son personnage de Pulp Fiction, continue à esquiver les projectiles avec un sourire narquois et lorsque ses lèvres découvrent les dents pointues et alignées du chat du Cheschire, le visage d'Anne-Eloïse s'illumine dans la salle tandis que son arrière train entame la danse de la joie au fond de son fauteuil molletonné ; les connexions neuronales se sont faites et elle a immédiatement (inconsciemment ?) compris le potentiel burtonesque de cette face noire tant de fois immortalisée par Hollywood. Ses orbites laiteux, sa coiffure étrangement blanchâtre, sa désinvolture habituelle font de lui une marionnette idéale que Burton manie avec dextérité. On devine chez ce bon vieux Samuel un plaisir manifeste à s'investir dans un personnage fantastique aux relents monstrueux. Sa voix prend des accents de folie, des touches d'arrogance et un léger soupçon de sombre inquietance burtonique que l'on regrette de n'être qu'un vernis, car pour un grand méchant, il faut tout de même le dire, il ne représente vraiment aucune menace, voyez-vous même : http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19565120&cfilm=194075.html.
Eva Green, quant à elle, laisse Anne-Eloïse sur sa faim, dommage pour un rôle titre, malgré son enthousiasme pour le film elle est déçue de la platitude du personnage, elle a du mal à comprendre pourquoi on l'a fourrée dans une robe noire trop grande sans aucun décolleté... totalement sous exploitée. Apres tout si on tolère son sourire aguicheur dans Dark Shadows c'est surtout parce qu'on le sait concupiscent, lascif, voire lubrique (Grand Dieu !). Où est passée la prédatrice sexuelle, la belle salope euh... sorcière intelligente qui accouche de la meilleure scène de sexe du cinéma burtonien ? Un rôle de piaf protecteur, franchement ? Après Sin City ? Qui y croit ? Autant la faire se transformer en poule tant qu'on y est... Oui, oui, pas la peine de me le rappeler, Anne-Eloise a aussi vu le mignon petit brun et la jolie petite blonde, leurs visages lui disent quelque chose mais de toute façon elle a déjà oublié leurs noms alors maintenant qu'on a parlé des acteurs, passons au film.
Fidèle à lui même, Burton, agite son armée d'esclaves et nous sert un bon divertissement bien de chez lui, issu de la vampirisation d'un livre à succès pour le plus grand bonheur d'Anne-Eloïse qui malgré tout aurait bien aimé le payer moins cher le billet. Émerveillée par un peu de brouillard, quelques lianes vaporeuses et une sombre petite île perdue aux confins de l'Irlande, elle a tout de même un petit pincement au cœur et se dit que l'ami Burton a le fessier entre deux tabourets. L'ambiance fantastique et crépusculaire des Noces Funèbres ou celle mélancolique et baroque d'Edward aux mains d'argents sont très lointaines, projetant leurs lourdes ombres sur Miss Peregrine et les Enfants particuliers. Le film passe un peu pour le cousin maladroit de la bande à Burton, tentant d'imiter ses semblables avec une maladresse presque parodique ; on regrette la fraîcheur de l'artisan à ses débuts. Cela dit, malgré son côté légèrement mécanique, il n'en reste pas moins que la magie opère, puisant dans un vivier très particulier. Le cinéma, depuis toujours, et de manière plus populaire depuis les années 2000, est parcouru par le surnaturel, par l'idée évanescente selon laquelle il existe un autre monde à portée de main, de l'autre côté du miroir (1999 : Matrix, 2001 : Harry Potter, 2005 : Le Monde de Narnia, 2007 : A la Croisée des Mondes...). La particularité de Miss Peregrine, c'est qu'il sort en version papier en 2011, précédé par une immensité de roman fantasy dont on situe l'âge d'or après la parution du Seigneur des anneaux il y a bien 60 ans ! On sent effectivement à travers cette histoire une vulnérabilité et une décrépitude du monde fictif parallèle. La fameuse "bulle temporelle" coincée dans un éternel poussiéreux à l'équilibre fragile est un endroit marginal, caché, menacé de toute part, soumis à l'éphémère. C'est déjà une lutte oubliée qui met en scène des combattants rêveurs déconnectés de la réalité. Le bateau fantôme rempli de cadavres aux costumes apprêtés en lambeaux, la tasse de thé encore à la main, en est une métaphore limpide, et sa résurrection, symbolique. Ce film a donc un côté crépusculaire qui lui donne parfois une poésie toute mélancolique comme s'il annonçait une fin, un regard empli de tristesse sur un monde qui s’effondre, renonçant peu à peu à l'éphémère beauté d'une imagination sans limite.