Le sujet ne prête guère à sourire. Il retrace la destruction par les espagnols des missions catholiques en Amazonie, sur fond de rivalité entre empires coloniaux avec les portugais. Il marque aussi la fin d'un monde préservé, celui des Guaranis, celui de l'entrée forcée de tous ces indigènes dans la civilisation occidentale par le prisme d'un dieu qu'on leur impose comme une vérité inébranlable, tandis que les chasseurs de trésors peu scrupuleux se repaissent des richesses prodigieuses de l'Amérique.
Et pourtant, ce film diffuse une sorte de joie indescriptible, joie qui habite littéralement les missionnaires chrétiens qui quittent leur confortable Europe pour l'humide hostilité des jungles tropicales. La joie, le feu intérieur, la foi dirons les chrétiens, est communicative, lorsque ces prêtres rencontrent les Indiens, pacifiques, souriants, qui les observent avec curiosité et toute l'innocence d'un monde épargné par les affres de la civilisation et la guerre.
La musique d'Ennio Morricone participe sûrement de cela, une musique somptueuse, grandiose, qui fixe un cadre sublime à cette jungle si sauvage, une de ses plus belles bande originale. Il procure aussi une joie immense par ce que ces personnages parviennent à accomplir. Il suffit de lire les sourires sur les visages des indiens et cette harmonie fragile qui tiendra bon jusqu'au bout, malgré le mal, inexorable qui se rapproche. Il suffit d'admirer cette conversion sublime de Robert de Niro - quel acteur incroyable ! monstrueux et sanguinaire trafiquant qui va se racheter et tomber dans les bras des indiens qu'il avait tant et tant martyrisés. Et ces indiens qui rient de le voir pleurer, et qui l'absolvent, en l'enlaçant, qui l'embrassent comme un fils, le bercent, le cajolent comme un des leurs, lui pardonnent tout, même et surtout les pires horreurs. Et cette touche d'espoir suffit à éclaircir le film de toutes les espérances. Tout cela au terme d'une magnifique rémission où De Niro trimballe son imposante armure dans un filet, en Syphyphe qui tire son rocher. La sueur perle, dans l'humidité rance du Paraguay, son calvaire, sa passion, son périple sur les traces du Christ, il l'accomplit dans l'hostilité de l'Amazonie. Au bout de sa peine, il pleure. Et ses anciennes victimes le consolent. C'est beau.
Derrière le contexte historique, le film apparait comme une réflexion sur la religion catholique, montrant comment l'institution ecclésiastique trahit jusqu'à ses propres valeurs et comment seuls quelques rares hommes de foi encore probes et exaltés parviennent à en expier les fautes. Si la cupidité des riches clercs et de la papauté peut détruire le monde, ceux qui croient encore dans les valeurs que l'église entend porter peuvent le sauver. Le film historique n'est pas tant une reconstituon qu'une mise en avant des ombres et des lumières de l'Eglise et de ses messages, en cela il serait presque une oeuvre de conversion, un condensé des enseignements bibliques et de leurs piétinements par la cupidité humaine.
L'eau cascade souvent dans ce film, il pleut, les cataractes et les cascatelles s'écoulent sans cesse, comme autant d'absolutions, en rémission des péchés.. Il pleut aussi et surtout des trombes et des torrents de larmes. Mais il ne s'agit pas de tristesse, mais d'une joie profonde et pure, celle de l'espérance.